MÉDIAS : l’emprisonnement des journalistes du Groupe IWACU est injuste, illégal et arbitraire  (Analyse de Maître Janvier Bigirimana, coordinateur de « Tournons La Page » Burundi).

MÉDIAS : l’emprisonnement des journalistes du Groupe IWACU est injuste, illégal et arbitraire (Analyse de Maître Janvier Bigirimana, coordinateur de « Tournons La Page » Burundi).

L’activiste et avocat Maître Janvier Bigirimana de la plateforme « Tournons La Page » regroupant des organisations de la société civile en exil issues de 9 pays africains dont le Burundi se penche sur la légalité de la récente incarcération des journalistes Christine Kamikazi, Agnès Ndirubusa, Egide Harerimana, Térence Mpozenzi du Groupe de presse IWACU et leur Chauffeur Adolphe Masabarakiza . (SOS Médias Burundi)

Depuis le mardi 22 octobre 2019, alors que la province de Bubanza a été le théâtre d’affrontements armés entre le Groupe rebelle RED-TABARA et les forces de défense et de sécurité du Burundi associées aux Imbonerakure, les réseaux sociaux ont largement évoqué ces affrontements qui ont créé une réelle panique au sein de la population locale.


A la suite de cet événement qui, naturellement doit susciter un intérêt pour la presse tant publique que privée, quatre journalistes et un chauffeur du Groupe de presse IWACU se sont rendus sur le lieu des affrontements pour tenter de collecter des informations de terrain selon les règles de l’art. Avant de pouvoir effectuer leur travail, Ils ont été arrêtés, dépouillés de leur matériel et conduits au cachot de la police en commune de Musigati.


A travers ce papier, il importe de se poser la question sur la légalité d’un tel emprisonnement. Pour aborder la question, il sied de disséquer la question en trois points essentiels dont un bref aperçu sur la liberté de la presse et le droit d’information au Burundi, le caractère illégal et arbitraire de l’emprisonnement ainsi que les conditions de détention.


• L’emprisonnement : la liberté de la presse et le droit à l’information en perpétuelle remise en cause au Burundi. De l’incendie des médias indépendants en 2015 à l’exil d’une centaine de journalistes, la dégradation de la liberté de la presse au Burundi a été corroborée par plusieurs mesures de répression délibérément assumées par les autorités burundaises.

Sans prétendre à l’exhaustivité des décisions et actes attentatoires à la liberté de la presse au Burundi dont se sont rendues coupables les autorités du pays, la disparition forcée du journaliste Jean Bigirimana du Groupe de presse IWACU depuis le 22 juillet 2016, l’interdiction d’émettre sur le territoire national des médias internationaux comme la BBC et la VOA, la mise en garde contre certains médias dont RFI, la suspension du journal en ligne IKIRIHO, l’adoption des mesures restrictives et le durcissement des conditions d’exercice du métier de journaliste sont des exemples éloquents que la presse burundaise est non seulement loin d’être libre mais elle est aussi dans le viseur de la machine répressive du régime de GITEGA et les journalistes burundais sur le terrain ne cessent d’en payer le prix y compris par l’atteinte de leur intégrité physique.

Avec cet emprisonnement des journalistes du Groupe de presse IWACU, plusieurs dispositions des instruments tant nationaux qu’internationaux liant l’Etat du Burundi et qui garantissent la liberté d’expression, la liberté de la presse et le droit à l’information sont en train d’être piétinés. Il importe néanmoins de souligner que la presse joue un rôle essentiel dans une société démocratique et son musèlement par quelque procédé que ce soit est une atteinte grave aux fondements de la démocratie.

Ainsi, si la presse ne doit pas franchir certaines limites, tenant notamment à la nécessité d’empêcher la divulgation d’informations triées selon le bon-vouloir des pouvoirs publics, ces derniers obstruent ipso facto à la liberté de la presse et au droit dont dispose la population d’être informée particulièrement sur des questions d’intérêt général, en l’occurrence leur sécurité.

En effet, le gouvernement du Burundi n’a aucun droit de priver la population à accéder aux informations si cruciales et qui touchent directement à leur propre vie. Et si restrictions il doit y en avoir, elles doivent être prévues par la loi et mises en œuvre que dans des conditions strictement appréciées par l’autorité légalement compétente.

Ainsi, l’article 18, alinéa 2 de la Constitution de 2018 dispose que « le Gouvernement respecte la séparation des pouvoirs, la primauté du droit et les principes de la bonne gouvernance et de la transparence dans la conduite des affaires publiques ».

Quant à l’article 19 de la même Constitution, il dispose que « les droits et devoirs proclamés et garantis par les textes internationaux relatifs aux droits de l’Hommr régulièrement ratifiés font partie intégrante de la Constitution ». Aux termes de l’article 48 de la Constitution, « les droits fondamentaux doivent être respectés dans l’ensemble de l’ordre juridique, administratif et institutionnel. La Constitution est la loi suprême. Le législatif, l’exécutif et le judiciaire doivent la faire respecter. Toute loi non conforme à la Constitution est frappée de nullité »,

L’article 19 de la Déclaration universelle des droits de l’Hommr qui dispose que « tout individu a droit à la liberté d’opinion et d’expression, ce qui implique le droit de ne pas être inquiété pour ses opinions et celui de chercher, de recevoir et de répandre sans considération de frontières, les informations et les idées par quelque moyen d’expression que ce soit »,

L’article 31 de la Constitution garantit la liberté d’expression et de manifester ses opinions en toute matière, sauf la sanction des abus qui seraient commis à l’occasion de l’usage de ces libertés tel que cela est prévu par la loi de la presse au Burundi. Ainsi, la liberté d’expression constitue également l’un des fondements essentiels d’une société démocratique, l’une des conditions primordiales de son progrès et de l’épanouissement de chaque fils et fille de la Nation. Cette liberté vaut non seulement pour les informations ou idées recueillies avec faveur ou considérées comme inoffensives ou indifférentes, mais aussi pour celles qui heurtent, choquent ou inquiètent les pouvoirs publics ou une fraction quelconque de la population. De la sorte, la liberté de la presse et celle d’opinion sont les piliers du pluralisme, de la tolérance et l’esprit d’ouverture sans lesquels la dictature s’enracine et l’éclosion d’une société démocratique est étouffée dans l’œuf.

Toutes ces dispositions qui sont énumérées à titre illustratif démontrent à quel point le harcèlement judiciaire que sont en train de subir les quatre journalistes ainsi que le chauffeur du Groupe de presse IWACU constitue une violation de la Constitution du Burundi et une menace réelle continue à la liberté de la presse et au droit à l’information.

Quant au pouvoir judiciaire Burundais, l’article 60 de la Constitution l’érige en gardien des droits et libertés de la population mais force est de constater que ce même pouvoir devient du jour au lendemain un instrument de répression dans les mains du pouvoir politique en place.

C’est ce qui justifie les multiples emprisonnements des citoyens innocents et l’inertie moribonde de la justice burundaise quand il est question d’engager des poursuites sérieuses contre des auteurs d’actes graves portant violation des droits humains.

• La détention des quatre journalistes et le chauffeur du Groupe de Presse IWACU est à la fois inhumaine, illégale et arbitraire.

De prime abord, l’arrestation décriée a méconnu les principaux principes qui gouvernent la procédure pénale burundaise et qui garantissent le respect des droits fondamentaux des personnes interpellées par la police ou par le parquet. Le respect de ces principes s’impose sans exception à tous les acteurs de la chaîne pénale et leur violation ou leur restriction ne peuvent pas avoir de justifications que celles prévues par une loi.

Comme cela a été décrit par l’un des activistes de défense des droits humains, Pacifique NININAHAZWE , les conditions de détention sont graves et révoltantes quand on sait pertinemment que ces journalistes n’ont commis aucune infraction et qu’ils sont victimes de leur profession qu’ils exercent légalement : « Dans la matinée de vendredi dernier, le procureur de la République en province de Bubanza est venu les sortir du cachot du commissariat de la province. Il les a sommés de le suivre sans leur dire la destination. Ils ne savent pas que leur calvaire commence. Ils sont sortis du cachot du commissariat escortés par de nombreux policiers, comme des criminels, sous les yeux ébahis et souvent compatissants des habitants du coin. »

Après une marche à pied de deux kilomètres, humiliés, ils sont arrivés au cachot de la commune. Là, ils vont découvrir leurs nouvelles conditions d’incarcération. Des cellules exiguës où s’entassent jusqu’à huit personnes. Les poux et punaises pullulent de partout. Pas d’eau. Pas d’électricité. Dans la pièce, un trou qui sert de WC est partagé par l’ensemble des détenus présents dans la cellule. Une mauvaise odeur flotte dans la pièce baignée dans la pénombre. Dans leur précédente geôle, au cachot du commissariat, il y avait de l’eau et de l’électricité. Ils dormaient à deux dans une cellule, sur des matelas que la rédaction avait pu leur faire parvenir. Ici, leurs pauvres matelas ont été refusés. Le Procureur de Bubanza a pris le peu d’argent qu’ils avaient sur eux, pour le conserver afin qu’ils ne se fassent pas « dépouiller par d’autres détenus », a-t-il expliqué ».

Ce calvaire des conditions de détention qui est aggravé par la violation des règles de procédure est tel que les journalistes sont en train de subir une sorte de châtiment injustifié et pour une infraction qui ne pourra point être établie à leur charge.

Ainsi, l’article 10 alinéas 5 de la loi n°1/09 du 11 mai 2018 portant modification du code de procédure pénale exige scrupuleusement qu’avant tout interrogatoire, la personne interrogée est informée de ses droits, notamment le droit de garder le silence en l’absence de son Conseil.

Selon les informations concordantes qui ont été reçues à propos de cet emprisonnement, ils ont été arrêtés manu militari sans une moindre information sur leurs droits et sans possibilité d’avoir accès aux membres de la famille ou aux avocats pour assurer leur défense.

Il est établi que la procédure est entachée de nullité. Il en découle que l’emprisonnement décrié viole en outre les dispositions des articles 38, et 40 de la Constitution de la République du Burundi qui consacrent le droit à un procès équitable et les garanties nécessaires à la libre défense.

En effet, l’article 39 de la constitution dispose que : « Nul ne peut être privé de liberté si ce n’est conformément à la loi. Nul ne peut être inculpé, arrêté, détenu, jugé que dans les cas déterminés par les lois promulguées antérieurement aux faits qui lui sont reprochés. Le droit à la défense est garanti devant toutes les juridictions. Nul ne peut être distrait contre son gré du juge que la loi lui assigne »;

Quant à l’article 40 de la Constitution, il dispose que « toute personne accusée d’un acte délictueux est présumée innocente jusqu’à ce que sa culpabilité ait été légalement établie au cours d’un procès public durant lequel toutes les garanties nécessaires à sa libre défense lui auront été assurées ».

Or, loin de bénéficier de ce principe sacro-saint du droit pénal de présomption d’innocence, ils sont plutôt présumés coupables et sont en train de subir des sanctions pour des faits imaginaires qui sont en train d’être concoctés dans les laboratoires du parti au pouvoir.

Cependant l’article 90 du Code de procédure pénale est clair à ce sujet car il édicte que « La liberté étant la règle, la détention l’exception, les officiers du Ministère public veillent au strict respect des lois autorisant des restrictions à la liberté individuelle, notamment celles relatives à la détention et à la rétention. Lorsqu’ils constatent une détention ou rétention arbitraire ou illégale, ils prennent toutes les mesures appropriées pour la faire cesser sur-le-champ. (…) »

Quant au Groupe de Travail des Nations Unies sur la détention arbitraire, il a déjà souligné au paragraphe 69 de son Rapport annuel du 1er décembre 2004(E/CN.4/2005/6) que « l’un des principes fondamentaux d’une procédure régulière est l’égalité entre l’accusation et la défense ». Le Groupe a par ailleurs souligné que : « Lorsque les conditions carcérales laissent à désirer au point d’affaiblir la personne en détention provisoire, et par conséquent de réduire l’égalité des chances, l’équité du procès n’est plus assurée, même si les garanties procédurales sont par ailleurs rigoureusement respectées ». Ainsi, l’un des journalistes aurait évoqué que les conditions de détention risquent d’aggraver irrémédiablement sa situation de santé sans que cela puisse retenir l’attention des autorités judiciaires qui ont décidé l’arrestation.

Avec cette disposition du code de procédure pénale, le législateur a obligé les magistrats du Ministère public au respect strict des lois. Et donc à ne pas emprisonner pour des motifs fantaisistes et à faire cesser toute détention illégale ou arbitraire. Le ministère public étant hiérarchisé, l’autorité hiérarchique du procureur de Bubanza devrait agir dans l’immédiat pour sauver la loi mais aussi pour sauver l’image du Burundi qui ne cesse de s’effriter. Bien entendu, cet emprisonnement n’étant pas une initiative autonome du pouvoir judiciaire, il faudra que les cercles de prise de décision au sein du régime interagissent à cet effet.


• Des faits reprochés aux prévenus qui sont fantaisistes et sans fondement.

Les prévenus n’ont participé ni par action ni par omission dans l’attaque menée par le Groupe RED-TABARA qui l’a officiellement revendiquée. En leur qualité de journalistes qui prestent dans un journal légalement reconnu, Ils ont été arrêtés étant sur la voie vers le lieu des affrontements en vue de collecter des informations dans le cadre de leur profession journalistique.

Les personnes interpellées avaient des cartes et des outils professionnels et qu’ils allaient couvrir faisait un flot incroyable sur les réseaux sociaux. En sa qualité de journal professionnel, il est tout à fait logique et méritoire que ces journalistes ont fait le déplacement malgré les risques que cela comportait afin de pouvoir diffuser une information crédible et vérifiée.

Si ces journalistes sont victimes d’avoir été témoins des scènes qui seraient gênantes, la population a également été témoin tout comme certains membres des corps de défense et de sécurité, et les dérapages pourront être rendus publics tôt ou tard. Ici, on fait référence aux informations faisant écho d’éventuelles décapitations des rebelles capturés, ce qui est un crime de guerre punissable sur le plan national ou sur le plan international.

La garde à vue s’est faite dans des conditions arbitraires en ce sens que même s’il y avait des infractions à la loi de la presse, c’est le CNC qui était compétent de se saisir du cas et non la police ou le Ministère public.
Le fait d’accuser les quatre journalistes ainsi que le chauffeur du Groupe de presse IWACU d’avoir commis une atteinte à la sûreté intérieure de l’État est une manœuvre dangereuse de manipulation de la justice aux fins purement de répression injustifiée.
Quant au code de procédure pénale, relativement à la détention arbitraire, le législateur burundais avait essayé de mettre des balises qui hélas ont été systématiquement violées dans ce dossier et le juge pénal qui devra être saisi est prié de dire le droit et rien que le droit.
Cette incarcération semble être l’un des derniers signaux donnés aux acteurs pro-démocratie et aux défenseurs des droits humains à la veille des élections de 2020 pour leur faire savoir que tout est verrouillé et que la loi n’a plus sa place au Burundi. Dans tous les cas, la fragilisation si prononcée d’un État de droit dans un pays n’offre que des garanties limitées au régime car tout change, tout évolue.

• Conclusion
Considérant que la vie en société met inévitablement en présence les intérêts les plus divers et nécessite la solution de leurs antagonismes; que la manière de résoudre ceux-ci, requise par les principes démocratiques, ne consiste pas à privilégier brutalement et sans nuances les intérêts des uns à l’encontre de ceux des autres, mais réside dans une recherche de solution sincère, ouverte et respectueuse de l’autre, seule alternative à la violence conçue comme moyen d’action politique; qu’ainsi se justifie l’importance de la liberté d’expression qui est, sans doute, l’un des fondements de notre démocratie et qui ne saurait connaître d’autres restrictions que celles prévues par la loi.

La déclaration universelle des droits de l’homme, le pacte des nations unies relatif aux droits civils et politiques ainsi que la charte africaine des droits de l’homme et des peuples ont été violés à travers une détention purement arbitraire que continuent à subir les victimes de l’arrestation décriée et qui ont été arrêtés alors qu’ils étaient dans le cadre de l’exercice d’une profession mondialement reconnue et réglementée.

Un conseil s’impose au régime de GITEGA et au pouvoir judiciaire : Le pouvoir politique ne pouvant pas demeurer de façon permanente dans les mains des seuls individus ou groupes, l’histoire nous enseigne que ceux qui sont malins mettent en place des lois plutôt justes qui pourront les protéger quand ils auront peu ou pas de parcelle de pouvoir. Ceux qui sont bêtes sans peut-être s’en rendre compte se contentent de mettre en place des lois ou de poser des actes tyranniques et quand ils perdent leur influence dans les cercles de prise de décision, ils sont parfois des cibles privilégiées pour subir les effets des lois qu’ils avaient établies prétendument pour les autres.

Les quatre journalistes et le chauffeur du Groupe de presse IWACU doivent être libérés pour l’intérêt général de la Nation.

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