Burundi : le pouvoir aide le CNL à se fendre, ce qui ne fait pas peur à son leader Agathon Rwasa

Burundi : le pouvoir aide le CNL à se fendre, ce qui ne fait pas peur à son leader Agathon Rwasa

Ce dimanche, un groupe de cadres du parti CNL a organisé un congrès extraordinaire au chef-lieu de la province de Ngozi (nord du Burundi). Ils ont choisi Nestor Girukwishaka comme son nouveau leader pour une période de 5 ans. Agathon Rwasa, leader traditionnel CNL parle de « mercenariat politique ». Il a le soutien de la coalition des leaders africains de l’opposition qui menace de « saisir la cour de Justice de l’EAC » si les autorités burundaises ne cessent pas leur harcèlement contre l’ancien chef rebelle Hutu. (SOS Médias Burundi)

Le congrès s’est déroulé dans un climat de tensions. Plusieurs militants CNL ont été arrêtés ou empêchés de circuler sur le territoire national. Les autorités policière et administrative voulaient éviter qu’ils aillent participer à cet événement, ont confié à SOS Médias Burundi des sources au sein du CNL. D’après des images qui ont été fournies par des témoins, la sécurité avait été renforcée dans le centre-ville de Ngozi, province natale de Rwasa où l’activité s’est déroulée. Les congressistes ont choisi Nestor Girukwishaka comme nouveau leader CNL. Il a un mandat de 5 ans. Ce cadre du ministère en charge de l’énergie a été élu dans un climat très tendu.

Mercenariat politique

Agathon Rwasa qui se réclame toujours leader CNL parle de mercenariat politique.

« La dissidence est née parce que le CNDD-FDD a peur qu’on aille aux élections et que l’on puisse changer le cours des événements en termes de gouvernance dans ce pays qui est le Burundi. Du fait que l’on n’a pas accepté de payer allégeance au parti CNDD-FDD, ils ont toujours cherché des gens à l’esprit plutôt aussi simple et cupide pour qu’ils puissent orchestrer ces coups là. Le mercenariat politique n’a porté aucun fruit au Burundi », a réagi Agathon Rwasa dans un entretien exclusif qu’il a accordé à SOS Médias Burundi ce dimanche, regrettant que « l’économie s’écroule de plus en plus, le tissu social va bientôt être entamé avec ça, les services de base ne sont pas disponibles ».

Pseudo congrès

L’ancien chef rebelle Hutu parle de pseudo-congrès. Lui-même en déplacement au Kenya au moment de la tenue de ce congrès, il n’a pas été invité. Il regrette que les autres congressistes attitrés aient aussi été empêchés d’y participer.

Plusieurs policiers postés non loin du lieu où s’est déroulé le congrès à Ngozi pour empêcher aux partisans de Rwasa d’y accéder, le 10 mars 2024

« C’est d’ailleurs une honte parce qu’il y a des congressistes statutaires. Ceux-ci n’ont pas été invités et lorsqu’ils ont pris l’initiative de faire le déplacement vers Ngozi, on les a empêchés d’y accéder. Ils ont été séquestrés par la police et l’administration comme quoi ils n’ont pas droit à participer à ce pseudo-congrès », poursuit M.Rwasa.

Rwasa n’a pas peur d’être évincé

Pour Agathon Rwasa, la qualité des congressistes est déjà mise en doute.

« On viole sur toute la ligne et la constitution et la loi sur les partis politiques et même les statuts du parti CNL en prétendant agir pour le compte du CNL. On a enrôlé des gens du CNDD-FDD et d’autres formations politiques affiliées au CNDD-FDD pour simuler ce congrès », accuse le leader CNL contesté.

Et d’être plus clair « Il (Nestor Girukwishaka) ne sera pas président du parti CNL puisque les congressistes ne sont pas des congressistes attitrés du parti CNL. Parmi les congressistes je suis du nombre, est ce qu’on m’a invité, est ce qu’on a invité les députés ? Est-ce-qu’on a invité les responsables au niveau communal et provincial qui devraient être là ? Pas du tout. Si quelqu’un est porté par les Imbonerakure (membres de la ligue des jeunes du CNDD-FDD), derrière lui vont se ranger les Imbonerakure, pas les militants du CNL ».

Attentats et dérive dictatoriale

Agathon Rwasa affirme avoir échappé à deux attentats récemment et dit qu’il peut être victime d’une arrestation arbitraire à tout moment, ce qu’il ne craint pas également.

« […] Un bus m’a cogné, non pas parce que j’avais enfreint une quelconque règle de circulation mais parce que justement il y a tous ces complots qui se machinent ici et là. Et quatre jours après, j’ai failli y laisser la peau. Dieu seul sait pourquoi j’ai survécu à ces deux attaques. M’arrêter, ça c’est toujours d’actualité. Je sais qu’ils jurent par tous les démons qu’ils doivent en découdre avec moi…C’est la dérive dictatoriale qui est en train de se consolider. Et là on peut s’attendre à tout. On a tout le cortège de malheurs qui s’abat sur nos militants, qui, tantôt kidnappés, qui, arrêtés sans motif, qui croupissent en prison alors qu’ils ont été blanchis par la justice. On est là pour subir toutes les injustices et toutes les humiliations de la part du pouvoir », énumère Rwasa.

En juin 2023, le ministre burundais en charge des affaires intérieures a suspendu toutes les activités du CNL. Martin Niteretse a évoqué des affrontements qui pouvaient éclater entre militants du CNL qui soutiennent deux camps.

Martha Karua, opposante kényane et Agathon Rwasa à Nairobi, le 10 mars 2024

Le 29 décembre dernier, le président Évariste Ndayishimiye a estimé lors d’une émission publique, qu’il agirait de la sorte s’il était à la place de son ministre.

Clin d’œil

« Si le président Ndayishimiye a toujours dit condamner les coups d’Etat, et que maintenant il couvre un acte du genre au sein d’un parti politique, qu’adviendra-t-il si jamais ceux qui sont dans son armée ou sa police en venaient à le renverser, que diraient les Burundais, que dirait la communauté internationale », questionne Agathon Rwasa.

Soutien

L’ancien chef rebelle Hutu fait partie d’une coalition des leaders africains de l’opposition. Ses pairs le soutiennent et menacent même d’aller attaquer les autorités burundaises à la cour de Justice du bloc économique de l’Afrique de l’est. Ils ont adressé une lettre notamment à la commission africaine en charge des droits humains, au secrétariat général de l’EAC, à la commission africaine et à la commission des Nations-Unies en charge des droits humains. Pour l’opposante kényane Martha Karua qui s’est exprimée au nom de cette coalition, « Nous allons saisir la cour de Justice de l’EAC si les autorités burundaises ne cessent pas leur harcèlement contre Agathon Rwasa et le parti CNL ».

Agathon Rwasa qui jure qu’il ne songera jamais à créer un autre parti politique, estime que « le Burundi mérite mieux que ce qu’il a aujourd’hui et c’est à travers les élections libres et démocratiques que cela pourra se faire ».

« Si ces gens qui gèrent le Burundi aujourd’hui sont conscients que le Burundi leur survivra, autant mieux accepter la compétition, laisser les partis s’organiser librement. Je pense qu’en 2025, des élections sans CNL ne seraient pas des élections », conclut le leader CNL contesté.

Un porte-parole du ministère en charge des affaires intérieures n’était pas disponible pour répondre à nos questions. Mais la police et l’administration gérées par ce ministère ont aidé à ce que le congrès se fasse sans entraves.

Les opposants de Rwasa quant à eux persistent et signent : « le parti nous appartient tous , retournons au travail et mettons en avant les responsables qui nous unissent ».

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Photo : Agathon Rwasa, leader CNL contesté, le 10 mars 2024 à Nairobi

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