Burundi : la CNIDH s’estime indépendante malgré le doute des organisations de défense des droits humains

Burundi : la CNIDH s’estime indépendante malgré le doute des organisations de défense des droits humains

Début novembre, Human Rights Watch et IDHB (Initiative pour les droits humains au Burundi) ont sorti une communication conjointe sur la Commission nationale indépendante des droits humains au Burundi, la CNIDH. Les deux organisations accusent la commission burundaise de manque d’indépendance. La déclaration adressée à l’Alliance mondiale des institutions nationales des droits de l’homme, exprime de graves préoccupations par rapport au manque d’indépendance de la CNIDH et recommande au Sous-comité d’accréditation de reconsidérer son statut A. Mais le président de la CNIDH, Sixte Vigny Nimuraba estime que sa commission mérite bien le statut A. (SOS Médias Burundi)

Selon les deux organisations, la CNIDH produit des rapports qui ignorent les violations des droits humains commises pour des raisons politiques.

« Même si de l’extérieur la CNIDH peut sembler collaborative et réactive à certains publics, elle fait preuve d’un manque d’indépendance et d’une relation étroite avec le gouvernement burundais notamment dans ses prises de position publiques. Ses principales publications sont des rapports annuels et dans les rapports annuels, les violations aux droits humains commises pour des raisons politiques sont de manière générale sous-évaluées ou même ignorées pour donner plus de place à des questions moins controversées », a dit à SOS Médias Burundi, Clémentine de Montjoye, chercheuse au sein de la division Afrique de Human Rights Watch.

Et d’ajouter: « ce ne sont pas seulement nos organisations qui expriment ces préoccupations , le rapporteur spécial des Nations-Unies sur la situation des droits de l’homme au Burundi a aussi noté dans son rapport d’août de cette année que les rapports de la CNIDH avaient tendance à occulter des questions ayant une sensibilité politique et qu’elle faisait un suivi sélectif des cas de violations des droits de l’homme pour ignorer les violations ayant une connotation politique ».

Manque de moyens ?

Ce n’est pas une question de manque de moyens. La CNIDH a choisi de s’aligner derrière le gouvernement. C’est pourquoi elle essaie toujours de brosser un tableau positif de la situation. Par exemple, le rapport 2021 de la CNIDH affirme : « Le Président de la République est perçu comme un véritable défenseur des droits de l’Homme. » Est-ce vraiment le type de remarque qu’on attend de la part d’une commission soi-disant indépendante ? », questionne Carina Tertsakian, chercheuse associée à l’Initiative pour les droits humains au Burundi.

Même si la CNIDH travaille sur certains dossiers, elle se concentre principalement sur les questions moins controversées. Cela se voit non seulement dans ses rapports mais aussi dans les remarques du président de la CNIDH. Par exemple, dans sa déclaration au Conseil des droits de l’homme de l’ONU le 6 juillet, il a déclaré que la situation politique était «satisfaisante » et que «les partis politiques ont fonctionné normalement». Pourtant, un mois plus tôt, le ministre de l’Intérieur venait de suspendre les activités du parti d’opposition le CNL, poursuit-elle.

Rétrogradation

« Nous demandons au Sous-comité chargé de l’accréditation des institutions nationales des droits de l’homme de ré-évaluer son statut A, et de le faire avant l’examen prévu en 2026. À notre avis, la CNIDH ne remplit pas les critères d’indépendance contenus dans ce qu’on appelle les Principes de Paris (les principes concernant le statut des institutions nationales des droits de l’homme). Il faut agir rapidement pour remédier à ces défaillances pour que la CNIDH puisse réellement jouer son rôle d’institution indépendante œuvrant pour la protection des droits humains au Burundi », alerte Carina Tertsakian.

Contexte difficile

Le contexte politique est délicat, c’est vrai. Mais la CNIDH a le devoir de faire un minimum d’efforts pour enquêter sur de graves violations et les dénoncer de manière objective et indépendante.

Des Imbonerakure, agents du SNR et policiers essayent de forcer une porte d’une maison appartenant à un opposant suspecté de détenir des armes illégalement dans le nord de la ville commerciale Bujumbura / Jean Pierre Aimé Harerimana

Sa crédibilité en dépend. Ce qui est frappant, c’est qu’elle ne s’exprime même pas sur certains dossiers bien connus, par exemple la détention arbitraire du Dr Christophe Sahabo, ancien directeur de l’hôpital Kira. Le contexte politique n’excuse pas son silence sur de tels dossiers. Il ne justifie pas non plus la manière dont la CNIDH minimise l’étendue et la gravité de cas de torture au Service national de renseignements ou l’impunité qui continue de protéger les auteurs de ces crimes, analyse la chercheuse associée à l’IDHB.

La CNIDH se défend

Pour nous, l’essentiel c’est qu’on est conscient qu’on fait le travail qu’on est supposé faire. Donc, des critiques il y en aura toujours mais l’essentiel c’est que l’on voit que la plupart de la population que nous sommes appelés à servir comprend les efforts et l’impact que nous avons sur terrain, a rétorqué Sixte Vigny Nimuraba, président de la CNIDH.

« Dans le monde entier il y a la liberté d’expression, toute personne peut s’exprimer librement sur ce qu’elle pense, mais l’essentiel c’est qu’il y a toujours des organes qui vont faire des enquêtes pour déterminer si le travail que nous faisons est un travail qui mérite la rétrogradation ou qui mérite le statut A », trouve M.Nimuraba.

Et de continuer : « la CNIDH fait partie des premières institutions qui font un travail louable, la preuve est que le Burundi représente maintenant depuis ce mois les pays de l’Afrique de l’est au niveau du réseau des associations nationales des droits de l’homme en Afrique. Donc on ne peut pas être élu pour représenter les autres institutions si on ne reconnaît pas les efforts fournis pour la promotion et la protection des droits de l’homme. Vous avez vu qu’il y a pas mal de commissions qui sont venues au Burundi pour l’échange d’expérience. Est-ce qu’elles viennent parce qu’il n’y a rien à apprendre? D’ailleurs même à Genève je vous informe que le Burundi fait partie des institutions qui sont beaucoup plus présentes pour présenter des rapports que ça soient thématiques ou circonstanciels ».

Pour le responsable de la commission burundaise, tout ça, ce sont des preuves qui montrent que le travail que nous sommes en train de faire est un travail qui est indépendant et qui ne mérite pas la rétrogradation au statut B.

Mais pour Tertsakian, le monde doit être avisé.

« Nous souhaitons attirer l’attention sur les défaillances de la CNIDH et faire pression pour qu’elle améliore son travail. C’est pour cela que nous demandons une ré-évaluation de son statut A. La CNIDH doit comprendre qu’il y a des normes et des critères qu’elle doit remplir. La population burundaise a besoin d’une institution indépendante forte et courageuse pour défendre ses droits. La CNIDH a été créée pour cela. Si la volonté est là, elle a encore la possibilité de jouer ce rôle. Bien entendu, le gouvernement burundais doit aussi lui permettre de travailler indépendamment et lui laisser la liberté d’exécuter son mandat », a-t-elle conclu dans un entretien exclusif avec SOS Médias Burundi.

L’organe public burundais avait été rétrogradé en 2018 en raison de la non indépendance face aux violations graves des droits humains, avant de retrouver le statut A en juin 2021.

______________________________

Photo : Sixte Vigny Nimuraba, président de la CNIDH

Previous Makamba : des conflits fonciers entre résidents et rapatriés refont surface
Next Rumonge : deux administratifs à la base arrêtés pour fausses déclarations