Burundi : l’Eglise catholique dénonce une dérive politique autocratique sans précédent

Burundi : l’Eglise catholique dénonce une dérive politique autocratique sans précédent

La Conférence des évêques catholiques du Burundi hausse le ton et condamne des agissements anti-démocratiques posés par le pouvoir burundais. De l’intolérance politique à l’impunité en passant par les violations graves des droits humains, les évêques ne mâchent pas les mots. (SOS Médias Burundi)

L’homélie de ce dimanche était, disait un chrétien, arrosée par un discours à la fois critique et apaisant, même si les auteurs ne donnent pas de solutions alternatives, regrette-t-il.

Les auteurs ne sont autres que des évêques catholiques qui ont fait lire leur discours dans toutes les paroisses du pays.

Ils commencent par relever que le pouvoir tend à réduire l’espace politique au système d’un parti unique.

« De par le passé, notre pays a, de manière récurrente, sombré dans la violence suite à l’exclusion et à la recherche exacerbée du pouvoir. Même aujourd’hui, cela demeure pour nous une préoccupation vu qu’il existe des signes de ceux qui voudraient nous faire revivre le système politique révolu du monopartisme », décrivent-ils.

Leur discours est plutôt défini comme une «instruction des évêques catholiques du Burundi pour le 3ème dimanche de Pâques », titrent-ils.

Ils dénoncent une intolérance politique notoire et craignent des conséquences sur la gestion de la chose publique.

« Encore faut-il que tout soit mis en œuvre afin que soient garanties les libertés individuelles pour pouvoir s’atteler au développement individuel et communautaire. Ainsi, il sera possible de mieux nous préparer à des échéances électorales prochaines inclusives, libres et transparentes. De telles élections recevraient alors, sans réserve, l’aval de tous. Cela afin de permettre à tous les citoyens d’exprimer leurs idées par les médias de l’Etat, l’organisation et la tenue de meetings en respect de la loi, sans aucune entrave».

D’après les prélats, le concept d’un état responsable risque d’échouer.

« Puisque le gouvernement se présente comme « Reta mvyeyi », comment pourrait-il correspondre à cette identité s’il ne développe pas une gestion inclusive, garantissant et promouvant le bien commun ? Au moment où ceux qui sont membres d’autres partis que celui au pouvoir se retrouvent étiquetés comme des ennemis et ne peuvent accéder à des postes de responsabilité alors qu’ils en sont capables, il devient dès lors difficile de s’engager au service du bien commun », critiquent-ils.

Impunité et justice populaire…

Dans cette déclaration sans concession, les évêques catholiques du Burundi se montrent notamment très préoccupés par le fonctionnement de l’appareil judiciaire.

« Les leaders de notre pays, à commencer par le Chef de l’Etat, ne cessent de rappeler sans cesse et de fustiger les conséquences de la culture de l’impunité. Au fur et à mesure que l’impunité s’établit dans la société, le peuple perd la confiance dans les institutions judiciaires et risque ainsi de se décourager, de se faire justice et de commettre des crimes», analysent-ils.

Selon eux, il existe des agents de la justice qui expriment des préoccupations pour leur sécurité à cause du harcèlement de la part de certains cadres les contraignant à enfreindre le droit au lieu de défendre la vérité et la justice.

« La question de la justice concerne également les modalités d’embauche au niveau de l’Etat. Des plaintes nous parviennent de diverses personnes que l’accès aux postes de travail ne tient pas compte des connaissances, ni du savoir-faire, ni des compétences professionnelles, mais qu’il est conditionné par le seul critère de militantisme dans le parti au pouvoir et/ou la capacité de verser des pots-de-vin », déplorent-ils.

« Il convient que les leaders ainsi que le personnel de l’appareil de justice, à tous les niveaux, travaillent d’arrache-pied afin que tout citoyen burundais et tout résident se sentent en sécurité ; que celui qui est lésé soit rétabli dans ses droits et vive en paix parmi les siens et ses biens», ajoutent-ils.

En effet, expliquent-ils, “comme nous l’avons dit, toute impunité face au mal commis, cause angoisse et rancœurs dans les cœurs entrainant ainsi le désordre et la guerre”.

Evêques en activisme…

L’église catholique mentionne en passant que la sécurité est le trésor le plus précieux de toute personne mais qu’elle est mise à rude épreuve ces derniers temps.

“Constater que dans notre pays, il est des personnes qui sont horriblement assassinées ou kidnappées et portées disparues pour des raisons politiques ou autres intérêts macabres, fait frissonner. Quand bien même quelqu’un serait appréhendé et arrêté par les instances habilitées, la justice doit se dérouler dans le respect de la loi, de sorte que la personne soit détenue dans un endroit connu et accessible aux membres de sa famille”, font-ils savoir.

Pour l’Église catholique, la sécurité doit être renforcée par des agents de l’ordre et non des civils armés.

« Veiller sur la sécurité dans la quadruple synergie demeure indispensable pour le pays. Cependant, il revient surtout aux forces de sécurité et de défense, d’être beaucoup plus vigilantes pour protéger la population et ses biens”, énoncent-ils.

Réactions mitigées

La société civile qui opère au Burundi n’est pas d’accord avec les évêques. Pour elle, la situation des droits humains est maitrisée et évolue positivement.

« Si nous analysons la situation sur terrain en ce qui est de l’espace politique, nous constatons que le pluralisme politique règne. Même si des défis persistent notamment au sein du parti CNL, nous y voyons une mauvaise gestion et une irresponsabilité des leaders de ces partis qui font que leur formation politique soit divisée », explique Gérard Hakizimana, représentant légal de la Force de lutte contre le népotisme et le favoritisme au Burundi (FOLUCON F).

Des évêques catholiques entre autres prient pour le président Neva lors de son investiture, le 18 juin 2020

En ce qui est de l’intolérance politique, de l’impunité ou des cas de disparition forcée des opposants, Gérard Hakizimana indique que la situation n’est pas alarmante.

« En tout cas, on ne peut pas charger le gouvernement alors que le président lui-même ne cesse de recadrer les magistrats et décourager toute forme d’impunité. Et ce qui nous rassure c’est que les auteurs des violations des droits humains sont punis y compris les membres du pari au pouvoir. Des assassinats et des disparitions forcées sont imputées aux fauteurs de troubles que la police appréhende le plus souvent », soutient-il.

Un clin d’œil nécessaire

Cependant, pour certains hommes politiques comme Gabriel Banzawitonde, président du parti APDR, l’appel des évêques catholiques n’est pas à prendre à la légère.

« Ceux qui sont interpellés devraient plutôt saisir l’occasion pour voir si ce qui est dénoncé est vrai ou faux. Et s’il le faut, prendre des mesures qui s’imposent pour inspirer la confiance à tout le monde », nuance-t-il.

« Par exemple un régime d’un parti qui se dit démocratique ne devrait pas tolérer des arrestations qui se font en cascade pendant la nuit sans aucune règle de droit. Nous avons des cas concrets ! Et puis la rareté et/ou la cherté des produits de première nécessité comme l’eau, l’électricité, le carburant, le charbon, etc., rendent la vie difficile et nécessitent des mesures de redressement », laisse entendre Gabriel Banzawitonde avant de dénoncer la loi électorale qui, pour lui, est discriminatoire, de quoi nourrir l’opinion des évêques catholiques.

Le discours controversé de l’Église catholique est venu, d’après les prélats, pour préparer le terrain d’élections apaisées, libres et transparentes aux résultats incontestables en 2025 et en 2027.

Ni le gouvernement ni le parti au pouvoir n’ont pas encore réagi à ces déclarations.

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Photo d’archives : le président Évariste Ndayishimiye, la première dame et d’autres hautes autorités avec les évêques catholiques se prosternent devant une statue de la vierge Marie à Mugera

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