Vente aux enchères des biens des “putschistes” : les propriétaires dénoncent un vice de procédure
Depuis ce mardi, le ministère en charge de la justice procède à une vente aux enchères des biens, meubles et immeubles appartenant aux personnes poursuivies dans le dossier du coup d’État manqué de 2015. Des anciens propriétaires dénoncent une action « aux allures haineuses ». Des juristes quant à eux parlent d’une violation flagrante de la loi. Ils mettent en garde l’État du Burundi sur de lourdes conséquences que l’action risque de coûter au gouvernement dans le futur. Ils comptent saisir des juridictions internationales. (SOS Médias Burundi)
Les lots en vente sont essentiellement constitués de lits, plusieurs paires de chaussures, habits, frigos, matelas, armoires, postes radios et téléviseurs, canapés, chaises en plastique, bicyclettes, motocyclettes et voitures.
L’autorité judiciaire a, dans un bref communiqué expliqué que cette décision va dans le sens “de les protéger en les mettant au profit de l’État et d’éviter qu’ils soient volés”.
Pourtant, les propriétaires disent qu’ils n’ont pas été informés.
Ils décrivent une action haineuse entreprise en violation la loi.
“Je n’ai pas été mise au courant. C’est à eux de nous éclairer. Ils courent avec le temps, car il n’y a même pas deux semaines que mes affaires ont été saisies, ce qui laisse croire qu’il y a un agenda caché derrière cette soi-disante vente aux enchères”, a réagi madame Christine Nininahazwe Nimenya, l’épouse du Général Herménégilde Nimenya détenu à la prison de Gitega (capitale politique).
Et d’ajouter : “Ils veulent tout simplement nous exproprier moi et mes enfants. Ces biens m’appartiennent personnellement et ne sont pas du patrimoine familial. Admettons que mon mari ait des comptes à rendre dans l’affaire du putsch. Mais, les enfants et moi n’avons rien à voir avec tout cela. Nous sommes privés de nos biens et donc, ils veulent nous arracher même le droit d’être burundais car ils prennent ce qui nous faisait vivre”, a-t-elle laissé entendre avant de dévoiler qu’elle compte saisir la justice burundaise, régionale et internationale pour la rétablir dans ses droits.
Dernièrement, une maison appartenant à cette femme a été saisie et est occupée par des gens qui seraient des jeunes Imbonerakure. Ils y ont été installés par les renseignements en collaboration avec la justice.
Selon nos sources, les autres biens qui doivent être vendus sont ceux du Général Cyrille Ndayirukiye, numéro deux dans l’affaire du coup d’État raté de 2015 ainsi que ceux des autres opposants et défenseurs des droits de l’homme en exil.
Sur la liste aussi, les biens appartenant à la Maison Shalom.
Sa fondatrice, Marguerite Barankitse n’en revient pas.
“Ce qui est très grave pour moi que le gouvernement burundais nous a fait, c’est de nous forcer à l’exil. Ensuite c’est chasser des veuves et orphelins que la Maison Shalom faisait vivre à Ruyigi (est du Burundi, ancien quartier général de la fondation). Sinon les biens matériels? On s’en fiche car je sais que tôt ou tard ils nous seront restitués avec intérêts et indemnités”, a-t-elle indiqué à nos confrères de la VOA, section Kirundi-Kinyarwanda.
Ironiquement, Barankitse se dit soulagée si au moins “l’argent qui proviendrait de cette vente aiderait les orphelins, veuves et pauvres, au lieu qu’ils soient utilisés inutilement”, car dit-elle, “c’était notre vision”.
La Maison Shalom dénonce un vice de procédure dans ce processus.
“Tous ces biens appartiennent à la fondation. Et la poursuite judiciaire a été engagée contre la personne de Marguerite Barankitse. C’est dire qu’ils se trompent de cible. Si c’était mes biens personnels qui sont pris, on allait un peu comprendre mais la fondation n’a rien à voir avec ce procès injuste. Et moi qui n’ai jamais comparu devant la justice!”, s’indigne Marguerite Barankitse, qui a déjà porté l’affaire devant la cour de justice de la communauté est-africaine depuis juillet 2019.
Le collectif des avocats pour la défense des victimes de crimes de droit international commis au Burundi, CAVIB, qui a déposé les plaintes à Arusha (siège de la cour de l’EAC) en Tanzanie pour la plupart de ces présumés putschistes surtout en exil dénonce quant à lui, une violation totale de la loi.
“Comment un procès qui n’a pas encore été élucidé peut-il être exécuté? Et puis, ce n’est pas une affaire civile où le procureur exécute le procès, il s’agit plutôt d’une affaire pénale où le procureur est en fait une partie en procès ce qu’on appelle égalité d’armes en droit pénal”, explique Maître Gustave Niyonzima, vice-président du CAVIB.
Il fait un clin d’oeil aux magistrats et à ceux qui pourraient acheter ces
biens.
“Ces magistrats et procureurs qui cautionnent l’expropriation pure et simple et qui risquent de causer le tort pécuniaire au gouvernement en seront responsables devant la loi tôt ou tard comme le prévoit la loi sur l’action récursoire de 2014.
Pour ceux qui voudraient acheter ces biens, qu’ils se gardent de perdre leur argent et de tomber dans un piège tendu par le gouvernement. Eux ou leurs descendants en paieront le grand prix car ils seront considérés comme ayant acheté des biens volés”, renchérit ce professionnel de droit.
Cette affaire qui est déjà devant la cour de l’EAC attend d’être fixée depuis plus d’un an. Ces avocats avaient demandé l’annulation de la décision du procureur général de la République et de la cour suprême qui autorise la vente aux enchères de ces biens saisis.
Le ministère de la justice a signifié que l’argent qui proviendra de cette vente sera mis dans les caisses de l’État.
Photo : Le numéro deux dans l’affaire du coup d’État raté de 2015, le Général Cyrille Ndayirukiye ,en casquette blanche au milieu de ses coaccusés devant la cour d’appel de Gitega. Jean Pierre Aimé Harerimana, Avril 2016.
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