Opinion : face aux controverses sur le génocide de 1972 au Burundi

Opinion : face aux controverses sur le génocide de 1972 au Burundi

Dans l’opinion publique burundaise , toutes générations confondues, tout le monde s’accorde généralement à reconnaître que les tueries massives de 1972 constituent des actes de génocide. Cependant, les acteurs présumés de ce drame ayant été originaires des deux groupes ethniques Hutu et Tutsi, le réflexe solidaire de groupe fait que la position des uns soit radicalement et inconsolablement opposée à celle des autres, quant à savoir si le génocide aurait visé le groupe ethnique Tutsi ou le groupe ethnique Hutu. Face à une telle situation si sensible, les protagonistes peuvent être guidés par la bonne foi ou par la mauvaise foi, par l’ignorance du droit ou par la volonté de mentir et d’inverser les faits, par la motivation politique ou idéologique ou simplement par des calculs d’intérêt personnel […]. Seulement, s’agissant des questions conflictuelles et contentieuses qui opposent les hommes au sujet des faits criminels d’une gravite extrême perpétrés contre le genre humain, et constitutifs de génocide, de crime de guerre ou crime contre l’humanité, le droit international a établi des mécanismes juridiques impératifs et des instances compétentes pour les qualifier et dire la VERITE FINALE ET IRREVERSIBLE OPPOSABLE à l’égard de tous. Analyse de Maître Isidore Rufyikiri, ancien bâtonnier du Burundi en exil.

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[Les opinions exprimées dans cette publication n’engagent que l’auteur] (SOS Médias Burundi).

Dans la situation qui prévaut au Burundi aujourd’hui, un pouvoir politique presqu’exclusivement Hutu et idéologiquement hutisant – ceci est de notoriété publique – s’active nerveusement, 49 ans après l’événement, a déterrer, sans façon ni méthode scientifique d’aucune sorte (identification par test ADN, Carbonne 14 , profil anthropologique pour l’identification des restes humains etc. ..), les ossements ethniquement indistincts des cadavres également non identifiés ni datables, mais tous automatiquement étiquetés de l’ethnie Hutu; pour déclarer ensuite urbi et orbi (càd : magistralement au Burundi et à l’endroit du monde entier) , sans compétence légale ni neutralité morale ou crédibilité politique, que le génocide de 1972 fut commis contre la communauté Hutu et non contre la communauté Tutsi.

Dans un tel contexte , on s’attendrait naturellement à ce que le pouvoir du CNDD-FDD s’en remette élégamment à l’autorité compétente de L’ONU pour lui demander d’initier et diligenter une enquête judiciaire internationale neutre , en vue de la création d’un Tribunal international spécial pour le Burundi d’autant plus que le porte parole du gouvernement déclare haut et fort que toutes les preuves pour établir le génocide hutu de 1972 ont été rassemblées : le pouvoir n’aurait donc à avoir peur de rien.

Car, en effet, seul ce Tribunal est capable et légalement compétent pour dire la VÉRITÉ , conformément au prescrit et à l’esprit de la Convention de 1948 sur la prévention et la répression du crime de génocide, et même en vertu du Chapitre VII de la Charte des Nations Unies, dès lors que les actes de génocide successifs et répétitifs (1965, 1972, 1988, 1993,1996, 2015 – 2016 ) qui se sont perpétrés au Burundi contre la communauté Tutsi, constituant à ne pas en douter, une grave menace pour la paix et la sécurité internationale.

Refuser ou esquiver cette démarche, pour un gouvernement qui prétend chercher la vérité , reviendrait à avouer qu’il se reproche sûrement de quelque chose qu’il s’emploie mordicus à cacher, et que tout le reste n’est que théâtre d’hypocrisie.

Isidore Rufyikiri

Mais, fort curieusement, le gouvernement burundais aurait décidé d’enquêter et conduire lui-même et lui seul toute la procédure menant à qualifier pénalement de génocide le crime de masse commis le 29 avril 1972 et à désigner les victimes et les auteurs.
Il parait très frileux et manifestement échaudé à toute idée d’appeler les compétences de l’instance internationale neutre seule habilitée à enquêter, qualifier et juger un crime de génocide commis en 1972.

Pierre Claver Ndayicariye, président de CVR sur un site de Bukirasazi (Karusi), le 17 février 2020
Pierre Claver Ndayicariye, président de CVR sur un site de Bukirasazi (Karusi), le 17 février 2020

Au regard de la loi , l’État du Burundi n’a ni compétence matérielle ni compétence temporelle pour qualifier et juger d’une infraction de génocide commise en 1972, dès lors que le code pénal burundais de cette époque ne contenait aucune disposition relative à cette infraction.

Par ailleurs, aucun texte légal ultérieur ne donne au juge burundais la compétence pour donner la qualification de génocide à un crime.

Les faits

« Je précise d’emblée qu’en avril 1972 , lors des tueries , j’avais exactement 18 ans , j’étudiais au Petit Séminaire de Mugera qui logeait à cette époque 416 élèves, […]. En pleine crise, le Séminaire a reçu la visite de Mr Jérôme Sinduhije, alors commandant du Camp Commando de Gitega, accompagné d’un détachement de militaires en armes. Il nous a entretenus de l’état de la situation et il est reparti calmement sans arrêter ni emporter avec lui aucun élève ni professeur Hutus , simplement parce que personne n’était impliqué dans ces tueries ni soupçonné de l’être. Pour cela, je mets au défi l’ancien Président Ntibantunganya Sylvestre, qui était derrière moi d’une année à ce même Séminaire, de me démentir; à moins qu’il veuille persévérer dans son entreprise mensongère ».

Qui a attaqué

En ce qui me concerne donc, et à ma connaissance, le 29 avril 1972 fut la date ou un groupe de criminels Hutus burundais entraînés en Tanzanie dans la forêt de Kagunga, ont lancé une attaque sur la population de la Communauté Tutsi du Burundi avec machettes, gourdins, explosifs et armes à feu, et a tué tout membre de ce groupe ethnique sans distinction de sexe, de catégorie sociale ni d’âge, y compris même les fœtus. Et cela était clairement ordonné à travers les tracts distribués à l’occasion et qui ont été saisis sur les assaillants. Ces tracts portaient des mots d’ordre
sans moindre équivoque sur l’intention génocidaire, qui ont été exécutés à la lettre, en voici la substance :
– « Armez-vous de lances, de serpettes, de machettes, de flèches et de massues et tuez tout Tutsi où qu’il se trouve « ;
– « Que tous nos partisans s’unissent pour exterminer jusqu’au dernier Tutsi, qu’il soit militaire ou dirigeant »;
– « Attaquez -vous aux ministres, aux gouverneurs, aux commissaires , aux administrateurs , aux conseillers, aux cadres du parti Tutsis. Massacrez-les avec leurs femmes et enfants, n’hésitez pas à éventrer les femmes enceintes »;
-« Rivalisons de courage, de discipline, d’agilité pour exterminer tout homme, toute femme et tout enfant de l’ethnie Tutsi et qu’on en parle plus dans notre pays »;
-« Pas d’emprisonnement , pas de jugement pour les Tutsis . Leur sort n’est que la mort »;
-« Partout où tu es, vérifie qu’il n’y a plus aucun Tutsi, soit l’homme, la femme ou leur progéniture qui respire encore ».

Ces mots d’ordre ont été traduits du Kirundi et sont disponibles en cette langue. Notons que ces massacres étaient conduits et exécutés au nom d’une organisation appelée « Parti Populaire Burundais » (PPB) avec sa jeunesse appelée « Jeunesse du Parti Populaire Burundais » (JPPB). […]. En pareilles circonstances, quelle pourrait être la réaction normale d’un gouvernement si ce n’est d’arrêter par la force une telle violence armée? N’eut été l’intervention musclée de l’armée nationale, c’est toute la communauté Tutsi qui devait être exterminée.

[…] je suis prêt à être démenti, mais seulement par une autorité judiciaire internationale neutre et compétente. Le gouvernement de l’époque n’a donc fait que défendre par la force la population et la sécurité du pays. Qu’il ait engagé des moyens proportionnés ou disproportionnés pour arrêter ces attaques , il appartient au Juge compétent de l’apprécier.

Mais en attendant, deux adages de droit criminel international respectés par tous les cours et tribunaux
du monde nous apprennent que :
-« Contra factum non datur argumentum » : c-à-d: contre un fait il n’est point d’argutie.

-« Vim vi repellere omnia jura legesque permittunt » : c-à-d : repousser la violence par la violence, voilà ce que permettent tous les droits et toutes les lois.

Et le philosophe Bertolt BERCHT de renchérir en soutenant que « Là où règne la violence, il n’y a de recours qu’en la violence ».

[..], cependant, rien ne renseigne à ce jour que les forces étatiques auraient mené une opération d’extermination systématique de tout membre de l’ethnie Hutu : outre que beaucoup de cadres Hutus de l’époque sont demeurés intacts et non inquiétés dont certains sont encore vivants, femmes, enfants et bébés ont été soigneusement sauvegardés. À moins que quelqu’un vienne me contredire valablement à ce sujet, comment pourrait-on parler raisonnablement et juridiquement de génocide Hutu dans ces conditions?

Burundi, CVR, SOS, Médias
Travaux d’exhumation des restes humains par la CVR

Ce qui s’est passé pourrait être qualifié clairement de crime de guerre ou crime contre l’humanité selon les cas, infraction par ailleurs punissable de la même peine que le génocide. Il est donc patent que l’acharnement des activistes politiques du parti CNDD-FDD n’est pas préoccupé par la découverte de la vérité sur les crimes et les criminels, mais par le souci caché d’établir un équilibre des génocides entre les 2 communautés ethniques , conduisant à rapprocher le génocide « Hutu » de 1972 au génocide Tutsi de 1993 (déjà reconnu par l’ONU : Rapport S/1996/682 du 25 juillet 1996) afin que celui-ci soit justifié par celui-là.

Pourtant, le génocide de 1972 n’a pas été commis par le peuple hutu en tant que tel, mais par un groupe de criminels qu’il s’agit d’identifier et condamner à titre individuel!

Un gouvernement partie et juge

Là où le bât blesse pour l’instant, c’est cette volonté obstinée et cette course effrénée du pouvoir du CNDD-FDD à qualifier lui-même de génocide les faits de 1972, alors qu’il se positionne comme partie et voix de la communauté ethnique Hutu. Va-t-il donc forcer pour être juge et partie dans un contentieux de cette envergure et de cette nature? Voilà toute la quadrature du cercle! Cela est absolument inacceptable et juridiquement insoutenable!

De la qualification

Ainsi, le droit international et la jurisprudence internationale reconnaissent que le fait de cibler des membres individuels d’un groupe ethnique ou religieux, en raison de leur catégorie sociale ou de leur groupe politique, ne constitue pas un génocide. Cette intention à prouver s’appelle le « dolus specialis », c’est à dire tuer avec l’intention spéciale prouvée de génocider.

Le dol spécial d’un crime est l’intention précise, requise comme élément constitutif du crime, qui exige que le criminel ait nettement cherché à provoquer le résultat incriminé, en l’occurrence le génocide du groupe ethnique visé en tant que tel.

Et plus particulièrement concernant le génocide de 1972, l’État du Burundi a expressément convenu avec l’institution onusienne de mettre en place une Chambre
Spéciale au sein de l’appareil judiciaire burundais avec une composition mixte de cinq juges dont deux Burundais travaillant avec trois internationaux pour garantir l’impartialité : Cfr Rapports de l’ ONU S/2004/72 du 26 janvier 2004 et S/2005/158 du 11 mars 2005. Plus encore, le Rapport S/2005/158 ci avant exigeait la mise en place d’une commission internationale d’enquête portant spécifiquement sur les meurtres de masse de 1972. Et pourtant, le gouvernement de cette époque qui a conclu ces accords était bien sous le contrôle et le leadership des dirigeants issus de la communauté hutue!

Conclusion

Le gouvernement burundais devrait faire preuve de retenue et agir plus par la tête que par le cœur. Je l’invite sagement à se rapporter à la propre convention faite entre l’État du Burundi et l’ONU où les deux parties s’étaient convenues du mécanisme adéquat de règlement de ce dossier.

J’invite le gouvernement du CNDD-FDD à faire preuve de courage et d’honnêteté pour laisser les faits têtus, le droit et la justice compétente conduire le peuple burundais à la VÉRITÉ VRAIE et à la juste réconciliation, au lieu de se laisser aveugler et jouer la
politique de l’autruche sur fond d’émotion idéologique et de calcul politicien.

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Les membres de la CVR sur un site d’exhumation des restes humains

Abstenons- nous donc de vouloir régler de force par la subjectivité politique une question qui relève de la seule objectivité du droit, sous peine de nous retrouver en train de frapper Durandal dans l’eau.

C’est justement à ce sujet qu’un proverbe grec nous dit : « Le mensonge se découvre toujours » ; et ne perdons jamais de vue le fait que « Le mensonge te fait vivre une nuit, et la vérité toujours”, dit un proverbe arabe.

Par ailleurs, tous ces dirigeants et activistes du parti CNDD-FDD qui se répandent à distiller et diffuser le mensonge sont les premiers à savoir en conscience qu’ils sont en train de mentir. Outre que certains d’entre eux plus âgés ont été témoins des faits, nous avons appris de source hautement crédible, qu’en 2006, Nkurunziza Pierre aurait reçu le leadership du parti Frodebu pour lui demander un concours pour récuser
l’implication de la communauté internationale dans la recherche de la vérité sur l’histoire du Burundi. Sinon, disait-il, « tous les Hutus se retrouveront en prison”.

C’est donc dire que certains parmi les animateurs de ce tintamarre de discours mensongers, savent bien de quoi ils devraient répondre tant pour 1972 que pour les années 1988, 1993, 1996, 2015-2016 et après.

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Photo : Me Isidore Rufyikiri / DR

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