Médias-Burundi : l’ABP spoliée, les dénonciateurs menacés

Médias-Burundi : l’ABP spoliée, les dénonciateurs menacés

Selon un rapport d’une mission de vérification de l’inspection générale de l’État que SOS Médias Burundi a vu, environ 960 millions de francs burundais ont été détournés à l’ABP (Agence Burundaise de Presse) entre février 2012 et septembre 2020. Quatre anciens responsables et employés de l’agence sur cinq qui étaient emprisonnés dans cette affaire depuis octobre dernier ont récemment été libérés. Des membres du conseil d’administration et des employés crient au scandale. Les dénonciateurs disent être menacés. La direction générale elle, préfère ne pas s’exprimer. (SOS Médias Burundi)

Selon l’analyse faite par la mission, certains employés de l’ABP possèdent deux ou trois adresses de paiement de leur salaire net. Pour certains, les numéros de compte ne sont pas indiqués, note la commission. « (…), l’inspection générale de l’État a demandé au procureur général de la République de prendre les mesures conservatoires afin de stopper l’hémorragie du trésor public et que les personnes indexées dans le présent rapport remettent au trésor public le montant global détourné évalué à 956 812 879 francs burundais », suggère le rapport de la mission de verification.

Cinq anciens responsables et employés de l’agence avaient été arrêtés et emprisonnés en octobre dernier. Quatre d’entre eux ont récemment été libérés et une a été réaffectée au Renouveau du Burundi, où elle travaillait lors de son interpellation.

Des sources non encore confirmées par notre rédaction disent qu’ils ont remis l’argent détourné.

Des employés dépassés

Des employés de l’ABP parlent de scandale. Le personnel toute catégorie confondue à savoir les journalistes et agents administratifs ont depuis longtemps dénoncé le mauvais calcul des salaires et la non application des statuts de l’ABP depuis 2008 sans qu’ils soient entendus par les ministres qui se sont succédés à la tête du ministère en charge de l’information et de la communication, encore moins les différents conseils d’administration. « Le rapport de l’inspection générale de l’Etat sur les détournements à l’ABP sorti en mars dernier a été remis aux ministres des finances, de la justice, de la communication mais aucune réaction de la part de ces autorités n’a été enregistrée jusqu’aujourd’hui », regrettent des employés.
Et de se demander « Le même rapport serait-il parvenu au président de la République étant donné que l’inspection générale de l’État est l’ un des services qui relève directement de la présidence de la République ?
Le président de la République qui est très déterminé dans la lutte contre les malversations économiques et détournements réagira sans doute lorsque le rapport sur les détournements à l’ABP lui parviendra et le personnel sera rétabli dans ses droits », espèrent des journalistes.

Une ministre interpellée

Nos sources à l’ABP estiment qu’il est grand temps que la ministre en charge de médias agisse. « À l’instar des ministres des finances et l’intérieur ; la ministre en charge de la communication et des médias devrait emboîter le pas à ses collègues en sanctionnant les voleurs des deniers publics et surtout les voleurs et manipulateurs des salaires du personnel de l’ABP qui, malheureusement et à la grande surprise du personnel de cette agence sont entrain d’être réintégrés dans leurs services respectifs après un bref séjour à la prison centrale de Mpimba pendant que quelques uns d’entre eux dont l’actuel DG de l’ABP cité dans le rapport n’a jamais été inquiété », se lamentent-elles.

Interrogé sur ces allégations, l’actuel, directeur général de l’agence n’a pas voulu répondre à nos questions. « L’affaire est entrain d’être traitée par la justice, c’est elle qui va statuer », s’est contenté de nous dire Nicolas Barajingwa dans un bref message.

Ce membre du parti présidentiel, le CNDD-FDD affirme aussi qu’il y a « des jaloux au sein de l’ABP qui ne souhaitent que le voir en prison ».

Des journalistes menacés

Jusqu’au 21 juillet 2021,l’ABP n’avait pas de responsable en charge des finances. C’est le directeur général qui s’en occupait. Et au cours de cette année, son budget a été multiplié par plus de deux fois. Mais un membre du conseil d’administration trouve cela inexplicable. « Malheureusement ,les détournements ne sont pas encore et toujours arrêtés à l’ABP en l’absence d’un directeur financier depuis octobre 2020 et le DG actuel cumule les deux fonctions et gère comme il l’entend le budget de fonctionnement de l’ABP qui vient de passer cette année du simple au double ça veut dire de 40 millions à plus de 100 millions, un budget difficilement inexplicable », selon un membre du conseil d’administration qui a requis l’anonymat.

Désirée Ntaconayigize et Pascaline Biduda, deux femmes impliquées dans l’affaire de l’ABP

« Autant que même les 40 millions étaient difficilement justifiables et plus de la moitié atterrissait dans les poches des voleurs aujourd’hui en liberté », ajoute-t-il.

Menaces

Selon un salarié qui n’a pas révélé son identité par peur de représailles, « Aujourd’hui, le personnel de l’ABP travaille la peur au ventre car personne n’ose élever la voix pour dénoncer les détournements et une dame qui a brisé le silence en dénonçant ces détournements a été sanctionnée et a perdu son poste de responsable en charge des correspondants provinciaux de cette agence ».

Un autre employé de l’agence affirme que « Nous sommes terrorisés, particulièrement ceux qui tentent de dénoncer les manipulations et détournements des salaires ».

Il estime par ailleurs que le statut qui devrait régir l’ABP depuis 2016 quand elle est devenue une agence avec une direction générale, ne profite qu’aux seuls directeurs.

Doute

« Nous doutons que le rapport de l’inspection générale de l’État soit parvenu au président Neva ,lui qui s’est engagé à combattre les détournements et plus particulièrement les empois fictifs », indiquent des employés de l’ABP. Et d’après un cadre de l’inspection générale de l’État, « ses rapports ne serviraient à rien si les voleurs ne sont pas poursuivis et punis ».

Selon des sources concordantes, ce mardi, le directeur général de l’agence a convoqué une réunion au cours de laquelle il a menacé de muter en provinces « toutes les personnes qui propagent des rumeurs sur les détournements des fonds de l’ABP ».

Aujourd’hui reste en prison un seul individu sur les cinq qui avaient été indexés par le rapport. Il s’agit de Télésphore Bigirimana, ancien directeur général de l’agence et ancien porte parole du SNR (service national de renseignements). Cet homme détenu à la prison de Bururi (sud) y reste pour des « raisons politiques » comme d’autres cadres du SNR interpellés en novembre 2020 dont l’ancien journaliste Emmanuel Nsabimana, d’après des observateurs locaux.

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Photo : Nicolas Barajingwa, actuel DG de l’ABP

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