Opinion : la stratégie d’auto-victimisation du président Évariste Ndayishimiye est à la fois dangereuse et révoltante

Opinion : la stratégie d’auto-victimisation du président Évariste Ndayishimiye est à la fois dangereuse et révoltante

Depuis plus d’une année, le peuple burundais et le monde entier assistent à un président qui se lamente, gémit et pleurniche face à la désagrégation de l’État burundais causée par les défaillances graves et répétées de la gouvernance du CNDD-FDD. Le cas emblématique s’est présenté ce mardi 24 août 2021 lors d’une réunion convoquée presque à la hâte et qui rassemblait tous les magistrats du pays en mairie de Bujumbura. Tous les grands dictateurs et criminels politiques ont d’abord joué à l’auto-victimisation, à la dénonciation des « dérives des sous-systèmes », à une sorte d’auto-blanchiment personnel. Autant qu’il s’investit à consolider la prééminence de son pouvoir, en répétant à qui veut entendre qu’il est « Sebarundi » (père de la Nation), les lamentations du président Ndayishimiye sont devenues répétitives et dénotent une posture plutôt suffisamment inconfortable de l’Institut du chef de l’État. C’est une stratégie érigée en mode de communication de son prédécesseur, feu président Pierre Nkurunziza. Pendant plusieurs années une partie de l’opinion publique a dû croire que Pierre Nkurunziza était un homme correct, bon et pieux et que tous les ratés de son régime étaient imputables à certains de ses proches collaborateurs comettaient des abus à son insu: l’histoire se répète. Évariste Ndayishimiye ne cesse de manipuler l’opinion publique à travers des scènes de mauvais goût où il apparaît comme un innocent, docile, tel un agneau angélique entouré de loups! Analyse de Maître Janvier Bigirimana, président de Tournons la page-Burundi.

(Les opinions exprimées dans cette publication n’engagent pas la rédaction de SOS Médias Burundi)

___________________

Par ailleurs, une telle réunion convoquée par le chef de l’exécutif et rassemblant l’ensemble du pouvoir judiciaire est plutôt rare et pourrait être considérée comme une atteinte au principe de la séparation des pouvoirs garanti par la Constitution du Burundi.

Autre fait à signaler, et non le moindre quant à l’intégrité du système judiciaire, est que cette rencontre est inscrite dans la vague campagne de « moralisation » de la société devenue coutume depuis l’ère Nkurunziza, une véritable tribune où le chef de l’État mélange moult discours empruntés tantôt à la religion, tantôt à une version manipulée de l’histoire du Burundi ou de celle du CNDD-FDD, tantôt même des faits exagérés de son histoire personnelle.

« Tous les grands dictateurs et les criminels politiques ont d’abord joué à l’auto-victimisation, à la dénonciation des « dérives des sous-systèmes », à une sorte d’auto-blanchiment personnel. il nous fait gober et valider son permis de tuer, écarter, discriminer […] à l’avance et nous mordons à son jeu petit à petit! », analyse Janvier Bigirimana.

Et pour interpréter, « D’abord, outre que le président Ndayishimiye a juré que son régime ne peut être que la continuité de celui de son prédécesseur, la stratégie d’auto-victimisation érigée en mode de communication par l’actuel locataire de Ntare Rushatsi House peut être considérée comme héritée de son prédécesseur feu Pierre Nkurunziza. En effet, pendant plusieurs années, une partie de l’opinion publique a dû croire que Pierre Nkurunziza était un homme correct, bon et pieux et que tous les ratés de son régime étaient imputables à certains de ses proches collaborateurs qui commettaient des abus à son insu. L’histoire se répète : Évariste Ndayishimiye ne cesse de manipuler l’opinion publique à travers des scènes de mauvais goût où il apparaît comme un innocent, docile, tel un agneau angélique entouré de loups! ».

Stratégie ancienne des dictateurs

De tels stratagèmes sont régulièrement mis en route par des dictateurs contemporains pour tenter d’asseoir leur régime tout en mettant un focus sur le culte de leur personnalité. Il s’agit d’un plan machiavélique savamment conçu qui vise à faire semblant de pleurer avec ceux qui pleurent et de se faire avocat de tous les misérables tout en jetant les torts sur les autres et d’intervenir occasionnellement en sapeur-pompier notamment par des remontrances en public de décrets de destitution qui contre quelques-uns de ses lieutenants ou contre quelques petits poissons de son système […] », explique le juriste.

 Le président Évariste Ndayishimiye lors de la réunion avec les juges et magistrats, le 24 août 2021: crédit photo / présidence de la République du Burundi

À force de pointer du doigt à longueur de journée les autres corps politiques, qu’il délégitime comme « pourris », comme agissant contre l’« intérêt du peuple » que lui seul comprendrait et soutiendrait, il nous habitue à une opération de communication politique destinée à endormir davantage la veille citoyenne et la vigilance de la communauté internationale; une bonne partie de l’opinion nationale et internationale semble par ailleurs mordre à son hameçon en croyant presque naïvement à un potentiel changement de discours et de pratique politiques. C’est une technique de pouvoir pour tous les populistes du monde et Dieu seul sait combien le populisme, dans ses versions passées ou contemporaines, a conduit des sociétés entières à la dérive, avertit M. Bigirimana.

De la justice populaire

Pour toujours utiliser le cas le plus récent, c’est dangereux d’entendre de la bouche d’un magistrat suprême qu’il comprend dans une certaine mesure les logiques et les pratiques de justice populaire – au nom des dysfonctionnements du corps judiciaire pris dans son ensemble alors que de nombreux magistrats s’acquittent correctement et dignement de leur travail dans un environnement politique et professionnel compliqué – au lieu de s’engager à garantir un renouveau de la gouvernance politique, économique, judiciaire en sa qualité d’animateur principal des institutions républicaines.

Des pouvoirs du président

Le chef de l’État dispose des moyens suffisants à ce sujet […], surtout dans la configuration du paysage politique actuel au Burundi où le CNDD-FDD, son parti, domine et dirige toutes les institutions de la République.

En effet, […], l’actuel président est en train d’invoquer sa propre turpitude dans ses cris incessants d’angoisse en lieu et place d’assumer le rôle de chef d’État et de prendre toutes les décisions conformément aux prérogatives qui sont les siennes.
Sur le plan constitutionnel, plusieurs dispositions lui garantissent des pouvoirs et compétences exclusifs qu’il est susceptible de mettre en œuvre soit discrétionnairement soit après des avis -le plus souvent consultatifs – de certaines autres autorités.
Clé de voûte de toutes les institutions de la République, depuis 2020, le président de la République exerce un mandat de sept ans renouvelable une seule fois (Constitution, article 97). Ses pouvoirs sont soit personnels (recours au référendum constitutionnel ou législatif prévu à l’article 203 de la Constitution, droit de dissolution de l’Assemblée nationale, article 208 de la Constitution), pouvoirs exceptionnels de l’article 116, nomination du Premier ministre, droit de saisine de la Cour Constitutionnelle, initiative des lois, etc.).
Il est le garant de l’indépendance de l’autorité judiciaire […], rappelle le président de Tournons la page-Burundi.

Conclusions

Enfin, le pouvoir judiciaire reste contrôlé de bout en bout par le président de la République via le Conseil supérieur de la magistrature qui est placé sous son autorité et qui a l’initiative réelle dans la nomination de tous les hauts magistrats et la gestion de la carrière de tous les magistrats.
Avec tous ces pouvoirs, il est difficile de comprendre les limites auxquelles est confronté le président Ndayishimiye, jusqu’à se retrouver dans une posture d’éternelles lamentations, après plusieurs années d’expérience au cœur du système CNDD-FDD et après plus d’une année d’exercice de la fonction présidentielle.

Dans une autre hypothèse qui paraît moins plausible, le président Ndayishimiye pourrait être pris comme un tigre en papier, qui a peut-être la volonté de servir correctement son peuple, mais manque suffisamment de marge de manœuvres politiques et d’audace pour revêtir de son costume de chef d’État afin de mettre en œuvre toutes les prérogatives lui reconnues par l’ordonnancement juridique burundais.

Ceci ramènerait une réalité, d’à la longue un mythe voire une explication politique plate à toutes les défaillances de la gouvernance depuis l’accession du pouvoir CNDD-FDD au pouvoir en 2005, à savoir le « cercle des généraux », incontournable dans la (mauvaise) gestion des affaires de la République. Cette explication tiendrait peu, même si l’opinion l’évoque souvent dans les coulisses, Ndayishimiye lui-même étant issu de ces fameux généraux.
Nous ne voulons pas épiloguer sur le fonctionnement d’un système que nous ne connaissons pas de l’intérieur, une simple lecture légaliste et citoyenne de cet imbroglio nous amène à dire sans ambages que le peuple burundais mérite mieux que des lamentations incessantes des plus hautes autorités de l’État.

À ce titre, deux choix s’offrent ainsi au président Ndayishimiye pour sauver l’institution qu’il incarne de par la constitution: assumer pleinement son rôle de chef d’État et accomplir les tâches inhérentes à cette fonction suprême ou démissionner et remettre le pouvoir au peuple souverain qui l’avait mandaté pour le gouverner. Gouverner, c’est diriger les affaires publiques d’un État. C’est une fonction qui lui revient en propre d’abord, en collaboration avec le gouvernement qu’il nomme et qu’il peut démettre discrétionnairement ensuite.
Alfred de Vigny disait que « Gémir, pleurer, prier, est également lâche. Fais énergiquement ta longue et lourde tâche dans la voie où le sort a voulu t’appeler (….) ».

Sans exiger au président Ndayishimiye d’épouser cette vision stoïcienne de cet auteur de la littérature française, il devrait néanmoins prendre le temps de reconsidérer ses propos récurrents où il se présente comme une victime, un incapable face à l’immensité des problèmes auxquels il n’a pas de solutions.

À travers les lignes précédentes, il a été brièvement et objectivement démontré que les pouvoirs du président de la République sont dimensionnés de sorte à permettre qu’il y ait une personnalité qui incarne un pouvoir de gouverner tant les relations internes qu’internationales. En décidant ainsi, le constituant a été fidèle au proverbe rundi riche en enseignement : « Ingabo zitagira umutware zitwa impehe nsa ».

Le peuple burundais a besoin d’un président qui incarne l’autorité et la justice, […]

Ce n’est pas ainsi trop lui demander si nous l’invitons à remuer plusieurs fois sa langue avant de la délier contre les maux de la société ou contre les autres corps de la société. Il peut incarner une autre image que celle du « maître » qui ne fait que distribuer le blâme à ses collaborateurs proches ou éloignés, sans prouver en quoi il s’acquitte de ses devoirs à lui. Nous l’avons vu dans les marais s’en prendre à des agronomes pour des tâches dont il n’a probablement pas la maîtrise technique, nous l’avons vu créer de la confusion entre l’intérêt public et privé en montant des commerçants contre des hauts cadres de l’État sans le moindre égard aux procédures légale et administrative requises ; nous avons vu ses lieutenants s’en prendre à des simples comptables communaux pour des détournements, certains condamnables, mais largement insignifiants par rapport aux scandales de corruption et de détournements des sommes colossales impliquant les hauts dignitaires du parti et du pays, etc.

Comme nous l’avons mentionné ci-haut, ce tournant populiste de la part du président est dangereux pour le pays et le fonctionnement de toute la société. Il devrait se souvenir constamment que « l’âme d’un chef est une moule qui donne la forme à toutes les autres ».
S’il se déclare désemparé, angoissé et des fois vaincu face aux situations problématiques et malgré les prérogatives lui reconnues par la loi, a-t-on le droit d’espérer le salut ailleurs?

Non, Monsieur Ndayishimiye, vous devez plutôt accepter de prendre des décisions y compris les plus courageuses, et dans le cas contraire, vous continuerez à trahir le peuple qui vous jugera un jour, arrêtez de vous lamenter, trop c’est trop !

_____________

Photo : Me Janvier Bigirimana, auteur de cette analyse

Previous Meheba (Zambie) : hausse exponentielle des prix des denrées alimentaires
Next Covid-19 : trois infirmiers de l’hôpital de province testés positifs à Rumonge