Burundi : les renseignements torturent, le président parle de mission en solo et Rwasa d’une volonté du CNDD-FDD primant sur l’État

Burundi : les renseignements torturent, le président parle de mission en solo et Rwasa d’une volonté du CNDD-FDD primant sur l’État

Au moins deux membres du CNL sont morts des suites d’actes de torture leur infligés par des agents du SNR (Service national de renseignements) au cours de ce mois. Le président burundais Évariste Ndayishimiye évoque des actes commis en solo et par méchanceté. Agathon Rwasa, leader du CNL lui, parle d’une volonté du CNDD-FDD, le parti au pouvoir qui prime sur l’État.
Il a déjà répertorié plus de deux cents arrestations arbitraires visant ses membres depuis juin 2020 et plus d’une vingtaine de disparitions forcées.
(SOS Médias Burundi)

Ce mercredi, le chef de l’État burundais animait sa première conférence publique de fin d’année où il reçoit les questions des journalistes des médias locaux ainsi que les questions et doléances du public. La question relative à l’emprisonnement de Gérard Ndayisenga, un officier du SNR poursuivi pour « torture » figurait parmi les plus attendues.

Le président Ndayishimiye a expliqué qu’il s’agit d’un cas isolé et non un agissement d’une institution. « Les gens torturés au SNR, il s’agit d’un crime vous le savez. Et je vais vous révéler que la personne qui a fait cela ne devrait pas être au service ce jour-là. Il y a deux sortes de gens : des méchants qui sont confiés des rôles dans le gouvernement et quand ils voient quelqu’un qui est arrêté, ils en profitent. Vous connaissez des policiers qui arrêtent des gens durant les week-ends pour les relâcher lundi. Nous ne cessons de les traquer. Il y a des Burundais qui ont encore un esprit de bêtes sauvages. Cet officier est allé, il a trouvé cet homme et l’a sérieusement tabassé. Il devrait avoir une dent contre lui
[…] », a-t-il insisté tout en ajoutant que « cinq fusils avaient été retrouvés chez la victime ».

« Même si quelqu’un est reconnu coupable d’un crime, il reste une personne humaine qui doit être respectée. La personne qui l’a torturé est un traître et il doit être puni exemplairement », estime le président Neva.

La victime est Augustin Matata, mort mi décembre. Ce militant de la principale formation politique d’opposition CNL originaire de la commune de Gihanga, province de Bubanza ( ouest du Burundi) est décédé des suites d’actes de torture lui infligés par des agents des renseignements burundais dans la capitale Bujumbura.
Un seul tortionnaire a été interpellé. Il s’agit de Gérard Ndayisenga, officier du SNR souvent cité dans des actes de torture et d’enlèvement d’opposants par des organisations de défense de droits humains. Il est locataire de la prison centrale de Bujumbura depuis le 17 décembre.

Même si il n’a pas été évoqué, notre rédaction a eu écho d’un autre cas d’un militant du CNL mort dans les mêmes circonstances. C’était le 3 décembre dans la ville commerciale Bujumbura également. Il s’agit d’Innocent Barutwanayo. Il habitait la commune de Matongo, en province de Kayanza ( nord).

Intolérance

Dans une interview exclusive accordée à SOS Médias Burundi, Agathon Rwasa leader du CNL parle de plus de 200 arrestations arbitraires visant ses membres depuis juin 2020 quand le président Ndayishimiye a accédé au pouvoir et de plus de 20 disparitions forcées.

Burundi, Rwasa, CNL, SOS Médias
Agathon Rwasa, leader de l’opposition burundaise et président du parti politique CNL

« Depuis que l’on est sorti des élections de 2020, on dénombre plus de 200 cas d’arrestations arbitraires et il y a plus de 20 personnes tuées et portées disparues sur tout le territoire national. Tout récemment il y a eu une vague d’arrestations ici à Bujumbura et dans les provinces. Et on les accuserait de détention illégale d’armes et de participation à des bandes armées. Mais ce qui est surprenant c’est que ces gens qui sont arrêtés pour la plupart sont des quinquagénaires et sexagénaires. Alors on s’imagine mal comment un vieux s’en irait à l’aventure armée. Ce sont donc des montages grotesques que l’on a toujours concoctés depuis que le CNDD-FDD est aux affaires. Et c’est tout autant un modus operandi de ce parti parce que chaque fois on tue sans vergogne comme si on n’a pas affaire à un pays où il y a de la loi », se plaint Agathon Rwasa.

Selon M. Rwasa , l’appareil judiciaire devrait « sévir contre toutes ces personnes qui commettent ces forfaits ».

« D’abord, le Burundi est un pays qui a souscrit à la Convention internationale contre la torture, néanmoins nos gens qui sont arrêtés sont torturés très brutalement, et au sortir de la prison il y en a qui sont mentalement dérangés et d’autres qui sont physiquement inaptes…Aussi de ces morts là ce sont des exécutions extrajudiciaires. Comment est-ce que vous arrêtez quelqu’un et par après on ne retrouve plus cette personne alors que le Burundi a aboli la peine capitale », poursuit le leader CNL.

Des civils qui arrêtent d’autres civils

La plupart de ces gens sont arrêtés soit par des gens non autorisés, là je mentionne les Imbonerakure et autres, des responsables du parti CNDD-FDD, soit par des gens censés être détenteurs de l’autorité mais eux aussi procèdent de façon déloyale car ils arrêtent des gens sans mandat ou les perquisitionnent sans mandat et ne trouvant rien, il n’empêche qu’ils embarquent ces gens et les accusent de détention illégale d’armes…Et autre chose c’est que chaque fois qu’il y a un incident ici ou là, le pouvoir a pris en boucs émissaires les membres du CNL et quelques fois, des anciens membres des forces armées du Burundi ou des anciens militants du parti MSD (Mouvement pour la solidarité et le développement radié depuis plus de quatre ans au Burundi et dont le président Alexis Sinduhije est visé par un mandat international de la justice burundaise). Je trouve que ça c’est quand même déloyal, affirme Rwasa.

Auteurs

Selon le leader du CNL, « ce sont des administratifs, des Imbonerakure, des agents du SNR qui arrêtent des militants du CNL ».

« Ce qui intrigue davantage c’est qu’ils procèdent à des arrestations de nuit sans mandat, avec des véhicules non immatriculés. Que cachent-ils? Ils ont des intentions criminelles[…]. Les gens devraient aussi avoir droit à une défense et une justice équitable. Mais malheureusement… ce n’est pas le président de la République qui va me contredire et ce n’est pas les gens de la justice qui me contrediront, lors d’une descente du président à Rumonge ( sud-ouest), les magistrats ont affirmé haut et fort qu’ils ont des injonctions de la part des Généraux, de la part des dirigeants du CNDD-FDD pour prononcer le verdict souvent. Autrement dit, on n’a pas de justice équitable et sans justice équitable comment voulez-vous que le Burundi soit stable, qu’il se développe », se désole Agathon Rwasa.

Et de conclure « On voit que la volonté du CNDD-FDD prime sur l’État, on voit qu’il y a des membres du CNDD-FDD qui y vont par trop de zèle et supplantent les organes de l’État. Il est question en fait de faire disparaître l’opposition et d’exister comme si on était dans un système de parti unique ».

Récemment, le Comité des Nations Unies contre la torture a déploré « le manque de coopération du Burundi concernant les plaintes individuelles ».

_______________

Photo : le président Neva lors de la conférence publique du 29 décembre 2021 au stade Intwari dans la ville commerciale Bujumbura

Previous Bubanza : les renseignements ont arrêté une infirmière
Next Rutana-Makamba : des changeurs de monnaie rackettés