OPINION : le Burundi intensifie sa guerre privée au Congo

OPINION : le Burundi intensifie sa guerre privée au Congo

Le Burundi est en proie à une crise économique dévastatrice, mais ceci n’a pas empêché le gouvernement d’envoyer de nombreuses troupes en République démocratique du Congo (RDC), accordant apparemment la priorité à une mission militaire coûteuse plutôt qu’aux besoins quotidiens de millions de ses citoyens. Depuis quelques semaines, des militaires burundais, accompagnés d’Imbonerakure (membres de la ligue des jeunes du parti au pouvoir), ont été déployés en RDC, officiellement dans le cadre d’une initiative régionale pour rétablir la sécurité dans l’est du pays. Analyse de Carina Tertsakian, co-fondatrice de l’Initiative pour les droits humains au Burundi. (SOS Médias Burundi)

Les autorités burundaises et congolaises ont présenté cette initiative comme un nouveau déploiement, mais en réalité, plusieurs vagues de militaires burundais et d’Imbonerakure ont traversé la frontière congolaise depuis décembre 2021, pour combattre le groupe d’opposition armé RED-Tabara. Jusqu’à récemment, il s’agissait d’une mission clandestine. À plusieurs reprises, le gouvernement burundais a nié avoir envoyé des troupes en RDC, malgré des preuves abondantes que des militaires et des Imbonerakure étaient sélectionnés et envoyés dans ce pays. Dans un rapport publié en juillet 2022, l’Initiative pour les droits humains au Burundi (IDHB) a décrit cette opération clandestine et mal préparée qui a fait de nombreuses victimes parmi les militaires burundais et les Imbonerakure, et a entraîné des exactions contre des civils congolais.

La participation d’Imbonerakure était particulièrement inquiétante. Les Imbonerakure sont des civils, et ne devraient donc pas participer à des activités militaires ou sécuritaires. Même si certains Imbonerakure avaient une expérience militaire antérieure en tant qu’anciens combattants de groupes armés, d’autres n’avaient jamais combattu au front, et n’étaient donc pas préparés à faire face à des embuscades ou des affrontements avec des groupes armés.

Les familles de militaires burundais ou d’Imbonerakure tués en RDC n’ont reçu aucune aide ou compensation de l’État, ou très peu, tandis que des Imbonerakure blessés pendant les combats ont été laissés à eux-mêmes et ont dû payer les frais de leur propres soins médicaux.

Certains Imbonerakure n’ont jamais reçu la rémunération qu’on leur avait promise pour cette mission dangereuse, ce qui a créé un ressentiment grandissant car ils se sont sentis abandonnés par leur parti et par leur gouvernement.

En cachant la vérité au public et en évitant le contrôle démocratique, le gouvernement burundais a également violé la constitution nationale. Non seulement il a ignoré l’obligation légale pour ses forces armées de rendre des comptes de leurs actions en toute transparence, mais il n’a pas informé le Parlement de son opération en RDC – une exigence constitutionnelle.

Puis, brusquement, le 24 août, le Président Évariste Ndayishimiye a écrit un « message d’information au Parlement », adressé au Président du Sénat, dans lequel il informait le Parlement de la décision de déployer la Force de défense nationale du Burundi (FDNB) dans la province congolaise du Sud-Kivu et déclarait qu’un bataillon d’infanterie avait déjà été déployé. Deux jours plus tard, le porte-parole de la FDNB annonçait dans un communiqué que le Burundi avait envoyé des troupes pour contribuer au rétablissement de la paix et de la sécurité au Sud-Kivu, dans le cadre d’une entente bilatérale en attendant le déploiement d’une force régionale.

Qu’est-ce qui avait changé ?

Les leaders de la Communauté d’Afrique de l’Est (EAC), dont le Burundi est membre, ont décidé de mettre en place une force régionale pour faire face aux menaces sécuritaires posées par de nombreux groupes armés dans l’est de la RDC. Le Burundi était le premier pays (et, jusqu’à présent, le seul) à déployer des militaires en RDC ; il a sauté sur cette occasion de tenter de légitimer l’opération qu’il avait menée de manière unilatérale depuis plusieurs mois.

Ainsi, l’opération est maintenant devenue officielle. Mais l’est-elle vraiment ? Le fait d’informer après coup les institutions nationales ne légitime pas les activités clandestines des huit mois précédents. Et même si les gouvernements burundais et congolais ont donné leur assentiment officiel aux déploiements récents, plusieurs questions demeurent. La collaboration entre les deux gouvernements semble dépasser de loin le contenu des accords formels, le gouvernement congolais permettant à l’armée burundaise d’opérer librement sur son territoire pour traquer ses ennemis.

Le recrutement et le déploiement d’Imbonerakure pour combattre en RDC continuent, mais n’ont pas été officiellement reconnus non plus. Pourtant, des Imbonerakure opèrent aux côtés des militaires burundais dans le cadre du déploiement officiel récent, et certains portent des tenues militaires pour qu’on ne puisse pas les distinguer des soldats.

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D’après des informations reçues par l’IDHB, certains Imbonerakure et militaires déployés avant le mois d’août sont probablement restés en RDC. Il y a donc un chevauchement entre l’opération officielle et l’opération officieuse.

La confusion qui entoure ces déploiements n’est pas accidentelle. Plus il y a d’ambiguïté, plus il est facile pour l’armée burundaise de faire ce qu’elle veut. Les autorités congolaises ne vont très probablement pas surveiller le comportement des troupes burundaises et fermeront peut-être même les yeux lorsqu’elles commettent des violations des droits humains ; elles ont d’autres priorités et semblent peu préoccupées par les actions de leur voisin burundais.

L’armée burundaise a profité de cette complicité depuis plusieurs mois pour éviter tout contrôle. Une autre préoccupation concerne la nomination de certains commandants burundais qui ont supervisé de graves violations des droits humains au Burundi dans le passé. Par exemple, Dominique Nyamugaruka, qui aurait été nommé commandant adjoint de la force conjointe burundo-congolaise, était, jusqu’en juillet 2021, chef de la Brigade spéciale pour la protection des institutions (BSPI), dont les militaires ont commis de graves violations des droits humains pendant la crise de 2015 au Burundi.

Le sceau de légitimité offert au Burundi par la force de l’EAC ne doit pas occulter ces préoccupations, ni le fait que le Burundi n’est pas un acteur neutre dans l’est de la RDC. Bien au contraire : le Burundi est une partie directe au conflit. Sa participation à des opérations bilatérales ou régionales devrait provoquer une réponse ferme de la part d’acteurs internationaux, qui devraient dénoncer ce conflit d’intérêt flagrant.

Une approche attentiste servira uniquement à accorder plus de temps aux militaires burundais et aux Imbonerakure pour commettre de nouvelles violations des droits humains contre des civils congolais. Le passé récent a montré jusqu’où le parti au pouvoir au Burundi est prêt à aller pour poursuivre son agenda, y compris en sacrifiant les vies de ses propres jeunes. Carina Tertsakian est co-fondatrice de l’Initiative pour les droits humains au Burundi. Le rapport de l’IDHB, « Une opération de dissimulation : la mission secrète du Burundi au

Congo », peut être télécharger ici:

https://burundihri.org/french/july_2022.php

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Photo d’illustration : des militaires burundais en partance pour une mission

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