Mort de Pierre Nkurunziza : quels scénarii possibles pour sa succession?

Mort de Pierre Nkurunziza : quels scénarii possibles pour sa succession?

Le décès d’un président en exercice est un évènement ni ordinaire ni politiquement neutre dans la plupart des États. Dans le contexte du Burundi, le récent décès du président Pierre Nkurunziza va nécessairement mobiliser un sérieux débat au sein des ténors du régime du CNDD-FDD. En outre, cet événement survient à moins de trois mois avant la fin du mandat débuté le 20 août 2015 et qui prendrait fin au plus tard le 20 août 2020 par la passation du bâton de commandement au nouveau président élu, Évariste Ndayishimiye. (Analyse de Maître Janvier Bigirimana).

Les articles d’opinions ou d’analyse n’engagent pas la rédaction de SOS Médias Burundi

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Une question qui se pose à juste titre est celle de savoir si l’on va passer par l’intérim qui reviendrait au président de l’Assemblée Nationale (article 121 de la Constitution de 2005 et 2018) ou si on va anticiper la prestation de serment du nouveau président élu pour qu’il entre en fonction le plus rapidement possible, donc plus tôt que prévu.

À ce sujet, il se pose une question du respect de la durée des mandats présidentiels : Pierre Nkurunziza étant élu pour un mandat de cinq ans et qui n’était pas encore achevé tandis qu’Évariste Ndayishimiye a été élu pour un mandat de sept ans qu’il débutera juste à la fin du mandat de son prédécesseur, initialement à partir du 20 août 2020.

Dans l’une ou l’autre hypothèse, l’intervention de la Cour Constitutionnelle est inévitable car c’est elle-même qui doit constater la vacance de poste du président de la République (article 121 de la Constitution de 2005 et 2018 ainsi que l’article 234 de la Constitution de 2018).

Une autre question qui est fondamentale est liée au fait que l’on se retrouve dans une superposition de deux constitutions: celle du 18 mars 2005 révisée en 2018 et qui a régi en grande partie le quinquennat en cours ainsi que celle de 2018 entrée en vigueur depuis sa promulgation intervenue le 07 juin 2018.

Dans les lignes qui suivent, il sera question d’épingler sommairement le contenu de la législation burundaise sur cette question et de dégager une solution légale ou des scenarii possibles sur le plan du droit.

Cette analyse n’a aucune intention d’épuiser cette question complexe et éminemment politique mais de tenter quelques bribes de lumière tirées du contenu des textes de lois pertinents dont les constitutions de 2005 et 2018, le code électoral en vigueur ainsi que la loi régissant la Cour Constitutionnelle.

Analyse des dispositions constitutionnelles

La nouvelle constitution promulguée en 2018 apporte des modifications importantes à la structure gouvernementale en supprimant notamment les postes de deux 1er et 2ème Vice-président de la République (article 92 de la constitution de 2005) pour les remplacer par un Premier Ministre, Chef de Gouvernement, issu du parti présidentiel et un Vice-président de la République.

Les juges de la cour constitutionnelle du Burundi lors de la validation des résultats issus des élections du 20 mai

En outre, l’article 288 précise ce qui suit : « En attendant la mise en place des institutions issues des élections conformément à la présente constitution, les institutions en place restent en fonction jusqu’à l’installation de nouvelles institutions élues» au moment où l’article 292 énonce que «  la nouvelle constitution entre en vigueur, le jour de sa promulgation », c’est-à-dire le 7 juin 2018.
Ces deux dispositions permettent en effet d’appliquer à la fois la nouvelle constitution de 2018 tout en permettant aux institutions élues en 2015 de terminer le mandat pour lequel elles ont été élues.

De la durée des mandats présidentiels

De prime abord, en ce qui concerne la durée du mandat du président Pierre Nkurunziza débuté en août 2015, l’article 96 de la Constitution de 2005 précise : « Le président de la République est élu au suffrage universel direct pour un mandat de cinq ans, renouvelable une fois».

Quant à l’article 104 de la Constitution de 2018 qui est le « copier-coller » de l’article 103 de la constitution de 2005, « le mandat du président de la République débute le jour de sa prestation de serment et prend fin à l’entrée en fonctions de son successeur ».

Evariste Ndayishimiye, le président élu le 20 mai et feu Pierre Nkurunziza

L’élection du président de la République a lieu un mois au moins et trois mois au plus avant l’expiration du mandat du président de la République en exercice.

L’hypothèse prévue par ces deux dispositions constitutionnelles est celle où le mandat du président de la République arrive à terme de manière normale.

Or, dans le cas du décès de Pierre Nkurunziza, on se retrouve dans une situation prévue plutôt par l’article 121 des constitutions de 2005 et 2018 mais de façon non identique.
Pour la Constitution de 2005, l’article 121 précise : « En cas de vacance pour cause de démission, de décès ou de toute autre cause de cessation définitive de ses fonctions, l’intérim est assuré par le président de l’Assemblée Nationale ou, si ce dernier est à son tour empêché d’exercer ses fonctions, par les Vice-Présidents de la République et le Gouvernement agissant collégialement.

La vacance est constatée par la Cour Constitutionnelle saisie par les Vice-Présidents de la République et le Gouvernement agissant collégialement.
L’autorité intérimaire ne peut pas former un nouveau Gouvernement.
Les Vice-Présidents de la République et le Gouvernement sont réputés démissionnaires et ne peuvent qu’assurer simplement l’expédition des affaires courantes jusqu’à la formation d’un nouveau Gouvernement.

Le scrutin pour l’élection du nouveau président de la République a lieu, sauf cas de force majeure constaté par la Cour Constitutionnelle, dans un délai qui ne doit pas être inférieur à un mois et supérieur à trois mois depuis la constatation de la vacance.

L’autorité intérimaire nomme une commission électorale nationale indépendante chargée d’organiser un nouveau scrutin présidentiel conformément à la loi en vigueur».

En vertu de l’article 121 de la Constitution de 2018, «  (…) En cas de vacance pour cause de démission, de décès ou de toute autre cause de cessation définitive de ses fonctions, l’intérim est assuré par le président de lAssemblée Nationale ou si ce dernier est à son tour empêché d’exercer ses fonctions, par le Vice-Président de la République et le Gouvernement agissant collégialement.
La vacance est constatée par la Cour Constitutionnelle saisie par le Vice-Président de la République et le Gouvernement agissant collégialement. (…) ».

En analysant l’article 121 de la Constitution de 2005 et la disposition de l’article 121 celle de 2018, on trouve que la Constitution de 2018 ne peut pas s’appliquer pour la principale raison que certaines institutions y stipulées et qui jouent un rôle constitutionnel déterminant n’existent pas encore (le rôle joué par le vice-président dans la constitution de 2018 est assuré par le 1er et 2ème vice-président).

En effet, la disposition en question évoque à la fois un rôle du vice-président de la République qui pourrait, en agissant collégialement avec le gouvernement, assurer l’intérim au cas où le président de l’Assemblée Nationale serait empêché (1).

En outre, la même disposition précise que c’est le Vice-Président agissant collégialement avec le Gouvernement qui saisit la Cour Constitutionnelle aux fins de constater la vacance du poste du Président de la République.

De ce qui précède, comme on n’a pas encore un vice-président tel que prévu par la Constitution de 2018, l’article 121 de la Constitution de 2005 est la disposition la mieux indiquée pour s’appliquer à la situation sous analyse.

Gaston Sindimwo, le 1er Vice-président de la République, celui qui a présidé le conseil des Ministres de ce 11 juin 2020

En vertu de cette disposition, les deux vice-présidents agissant collégialement avec le gouvernement en place doivent saisir la Cour constitutionnelle pour qu’elle constate la vacance du poste de président de la République à la suite du décès et c’est le président de l’Assemblée Nationale qui doit assurer l’intérim sauf au cas où il serait empêché auquel cas on recourra aux deux vice-présidents qui agiront collégialement avec le gouvernement pour assumer cette fonction.

Est-ce que le président élu pourrait anticiper sa prestation de serment pour accéder à la magistrature suprême sans procéder par l’intérim ?

Il y a lieu de penser que la réponse à cette question n’est pas facile selon qu’on l’aborde juridiquement ou politiquement.

Au niveau juridique, cette prestation de serment anticipée serait sujette de controverses sur base des dispositions constitutionnelles qui prévoient la durée du mandat des institutions.
Si Pierre Nkurunziza a été élu pour un mandat de 5 ans en août 2015, il prendra fin en août 2020 tandis que celui de son successeur en la personne d’Évariste Ndayishimiye qui a été élu devrait logiquement débuter juste à la fin du mandat de son prédécesseur.

Du rôle de la Cour Constitutionnelle

La Cour Constitutionnelle va jouer un rôle capital car elle est compétente non seulement pour constater la vacance du poste de président de la République mais aussi pour interpréter la Constitution (articles 121 et 234 de la Constitution).

En outre, la Cour Constitutionnelle est compétente pour recevoir le serment du président de la République.
À cet effet, l’article 107 alinéa 1er de la Constitution de 2018 énonce que « Lors de son entrée en fonction, le président de la République prête solennellement le serment ci-dessous, reçu par la Cour Constitutionnelle (…)».

Conclusion

Cette brève analyse n’a pas pu aborder tous les contours d’une question éminemment politique et d’une grande complexité mais nous osons espérer que les acteurs concernés agiront légalement et de bonne foi pour résoudre cette problématique générée par la disparition inopinée du président Pierre Nkurunziza.

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