Burundi : une autre aube sur le Burundi
Analyse de Ketty Nivyabandi, activiste burundaise.
(Les articles d’opinion ou d’analyse n’engagent pas la rédaction de SOS Médias Burundi)
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En Mai 2015, un fleuve en crue se déversait par centaines, par milliers, scandant un mot, devenu le cri de ralliement d’une génération : Sindumuja. ‘Je ne suis et ne serait l’esclave de personne. Je suis un être libre, ma dignité est sacrée’.
Une affirmation brûlante, impérieuse : le droit à la vie, le droit à la liberté de toute et tout murundi par vertu de son appartenance à la grande famille humaine. Le droit au bien-être, à la justice et à une gestion équitable du patrimoine physique et immatériel de ses ancêtres. À une existence digne, dans toutes ses différences et sa diversité.
Cette aspiration fut brisée dans son élan par le désastre politique, humain, moral que fut le régime de Nkurunzira.
Une autre aube se lève aujourd’hui sur les collines du Burundi.
Saura-t-elle se dresser à la hauteur de nos rêves ? Aura-t-elle le courage de quitter ce carrefour étranglé de l’histoire, qui nous replace sans cesse entre deux impossibilités : une violence étatique qui persiste, de république en république, et l’absence d’alternative politique digne de nos potentialités?
Trouvera-t-elle en elle de quoi nourrir les espérances d’une jeunesse brillante, puissante, créative, et particulièrement celles, trop longtemps inaudibles, d’une jeunesse féminine?
Je pense aujourd’hui à cette génération consciente, dont les ailes se brisent, décennie après décennie, sur les parois de politiques stériles, dépourvues de sens et d’imagination, et qui pourtant reste debout, se réinvente, et continue à trouver en elle les moyens de sa survie.
Une jeunesse trahie de génération en génération – de la fracture coloniale à la succession désastreuse de nos régimes – par la politisation de nos identités, la violence et l’impunité récurrente de nos institutions, mais qui, chaque matin, puise en elle excellence, courage, résilience et humour.
Une génération qui veut vivre. Qui brûle d’être. Et qui n’en peut plus d’attendre.
Elle a payé le prix de son engagement par son silence et par son sang. Et pourtant, il y a un mois à peine, elle gonflait encore les flancs de ses collines, se pressait contre les bureaux de vote, fiévreuse d’espoir, toujours confiante en la force de sa voix.
Ses aspirations sont simples. Ses espérances vastes. Elle revendique une paix vivante et charnelle, qui ne se limite ni au silence des armes, ni aux déclarations creuses de ses politiciens, mais qui prend souffle dans l’épanouissement de soi et l’absence de violence physique, économique, culturelle, politique, religieuse, sexuelle et environnementale. Une paix qui bat dans le ventre, le cœur, les foyers et les rues de tous les citoyennes et citoyens rundi.
Car elle est épuisée par cet étau politique qui la réduit à exister dans un état d’urgence perpétuel, ponctué par des périodes d’accalmie, auxquelles les Barundi font de moins en moins confiance.
Aujourd’hui encore, cette jeunesse se dresse, comme partout ailleurs dans le monde, impatiente de ses horizons.
Déchargée des traumatismes d’un passé qu’elle n’a pas vécu, elle ne tolère plus l’intolérable, son identité est pluri-sociale, pluri-ethnique, pluri-économique.
Elle ne veut plus de bategetsi, “ceux qui commandent”, ce mot aux tonalités violentes, dominatrices, patriarcales, et profondément anti-démocratiques qui décrit les dirigeants politiques.
Une classe qui l’exploite et la méprise, et qui malgré ses alternances de vitrine, exhibe – de la 1ère République au régime fraîchement déchu – une même culture de gouvernance: le monopole du pouvoir, l’exploitation du bien public pour ses intérêts privés, l’usage de l’appareil étatique pour réprimer les voix discordantes et asseoir son autorité.
C’est de cette culture politique, qui ligote son présent et son avenir qu’elle exige l’affranchissement. L’aspiration des Barundi à la paix n’a jamais été aussi forte, son désillusionnement jamais aussi grand.
L’immense devoir et défi du jour est de briser ce cycle qui condamne toute une génération à la pauvreté, l’incompétence étatique, l’exclusion, à une vie d’errance et de traumatismes récurrents, où le seul salut devient la corruption, le silence ou les armes.
Déconstruire cet héritage et ses pratiques exige une imagination radicale. Notre espace politique et intellectuel porte toujours en lui les vestiges et les traumatismes du passé.
Parmi le regrettable héritage du dernier président il y a un mot : « mujeri » – chien errant – dont il se servait publiquement pour décrire ceux qui n’adhéraient pas à sa vision. Les mots sont puissants. Et celui-ci résume peut-être toute la tragédie d’une gouvernance. Un chef d’État qui exprime mépris pour une partie de ses citoyens instaure une culture dangereuse, d’intolérance, de marginalisation, qui donne libre cours à tous les extrémismes.
Les États-Unis en sont l’exemple le plus actuel et le plus éloquent.
Il faudra continuer à refuser cette intolérance, où qu’elle soit. Refuser ‘ubuja’ – ’asservissement.
Toujours porter l’exigence plus haut
L’urgence aujourd’hui est de réenchanter la politique. Refleurir l’espace déboisé de nos idéaux.
Deux jeunes, au parcours singulièrement pacifique, ont osé porter leurs candidatures indépendantes aux dernières élections. C’est un geste audacieux et important. Puissent d’autres leur emboîter le pas, dans toutes les sphères de la vie publique. Nourrir, contre vents et marées, l’éclosion d’une culture politique soucieuse de l’autre, porteuse d’humanité et de nouvelles voies.
Nous ne pouvons plus nous permettre de déléguer le changement aux « assassins de l’aube » comme les appelait Aimé Césaire. Ceux-ci se nourrissent de notre absence et de notre découragement.
Un autre Burundi est possible. Il exige le droit à une vie digne et à l’épanouissement de toutes ses possibilités.
Tout demandeur d’asile dans cette enceinte capricieuse qu’est le pouvoir serait sage et sensé de l’écouter.
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