Opinion : feu président Nkurunziza n’est pas un héros à chanter, mais un traître

Opinion : feu président Nkurunziza n’est pas un héros à chanter, mais un traître

C’est du moins le point de vue de Janvier Bigirimana, responsable de Tournons-la-page Burundi. Une réaction après que le président Évariste Ndayishimiye ai élevé Nkurunziza au rang de Guide Suprême du Patriotisme qu’il faudra chaque fois vénérer le 8 juin de chaque année. Revenant sur plusieurs cas de disparitions forcées, d’assassinats ciblés, de tortures, d’emprisonnements d’opposants […] depuis son règne en 2005 en général et à partir de 2015 en particulier, Janvier Bigirimana trouve que Nkurunziza a trahi le peuple burundais qui avait placé en lui toute sa confiance. Pour lui, le président Neva devrait cesser l’humiliation de la mémoire des victimes du régime tyrannique imposé par Pierre Nkurunziza.

(Les articles d’opinion ou d’analyse n’engagent pas la rédaction de SOS Médias Burundi)

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Pierre Nkurunziza, fut un tyran qui generis car, pendant un temps, il a su maintenir une confusion sur sa vraie personnalité et sur sa bonne foi dans l’exercice de ses fonctions de sorte que certains jetaient le tort sur son entourage en présumant que c’était ce dernier qui était responsable des forfaitures imputables à son régime. Plus tard et même depuis que son divorce avec l’ancien homme fort du CNDD-FDD, Hussein Radjabu, était consommé, ceux qui lui accordaient encore le bénéfice du doute ont été vite désillusionnés car il s’est davantage montré égoïste, insensible aux souffrances du peuple, boulimique du pouvoir et des avoirs.

Des manifestations populaires contre le troisième mandat ont été réprimées dans le sang, un demi-million de Burundais contraints à l’exil, des milliers de Burundais arbitrairement emprisonnés tandis que plusieurs autres ont été torturés, assassinés ou portés disparus, des femmes et filles violées.

Un plan calculé

Sur injonction de feu Pierre Nkurunziza, en janvier 2020, le parlement burundais avait voté une loi portant modification de la loi n° 1/20 du 09 décembre 2004 portant statut du chef de l’État à l’expiration de ses fonctions. Cette législation a créé de sévères polémiques à juste titre. Plusieurs analystes burundais avaient déjà souligné le caractère faramineux, exagéré des avantages et autres indemnités que l’État comptait consentir à une catégorie d’anciens chefs d’État dont Pierre Nkurunziza.

Dans la même foulée, par le même procédé, il s’est fait ériger en Guide Suprême du Patriotisme avec une journée nationale lui dédiée et qu’il devait présider.

Provocation et hypocrisie

Le régime d’Évariste Ndayishimiye, à travers une loi et un décret d’application, vient de décider le 08 juin (date du décès de Nkurunziza) comme une journée nationale qui sera célébrée en sa mémoire.
S’il est vrai que les régimes ayant érigé la terreur en mode de gouvernance peuvent contraindre les victimes à applaudir leurs bourreaux, il est du devoir des Burundais de rappeler au régime en place qu’il est en train de remuer un couteau dans des plaies béantes des milliers des victimes et qu’une telle entreprise est à la fois une provocation et une hypocrisie : si le défunt président ne peut plus être poursuivi ici-bas, la mémoire des victimes de sa tyrannie mérite un minimum de respect.

Une date pour pleurer les victimes du règne-Nkurunziza

Néanmoins, comme d’autres Burundais l’ont déjà déclaré, cette journée devra être, pour tous les Burundais épris de justice, vérité et démocratie, une occasion de pleurer les nombreuses victimes de la tyrannie du régime de Feu Pierre Nkurunziza, d’exiger la justice et la vérité ainsi que la non-répétition des atrocités.


Pierre Nkurunziza a trahi le peuple burundais malgré la confiance que ce dernier avait placé en lui.

Me Janvier Bigirimana


La trahison de Nkurunziza n’est pas seulement matérialisée par les innombrables crimes économiques et de sang qu’il a personnellement commis notamment en sa qualité du numéro un de l’exécutif burundais et de commandant suprême des forces de défense et de sécurité mais aussi pour avoir replongé le Burundi dans le cycle de violence caractérisé par la négation de la démocratie et des droits et libertés des citoyens.

En effet, il est le rare président burundais qui, au moment de sa première élection en 2005, avait des atouts énormes pour développer le pays et réconcilier le peuple burundais sans entraves. Au lieu de construire le pays sur les acquis de l’Accord d’Arusha et les opportunités qu’offrait le contexte, il a sombré dans des pratiques d’exclusion et de répression pour tenter de se maintenir au pouvoir coûte que coûte.
C’est en 2015 et la période qui a suivi que le défunt président a atteint la sommité des actes de sa trahison lorsque malgré les multiples voix qui s’étaient élevées pour le convaincre à abandonner le troisième mandat, il s’est obstiné à travers un forcing inédit vers ce maudit mandat de la honte et de la discorde. Il avait lui-même déclaré que ceux qui vont s’opposer à son troisième mandat allaient disparaitre comme une traînée de poudre, une menace qui fut exécutée de façon parfaite et détaillée.

Illustration des crimes

Sans prétendre à une quelconque exhaustivité, les crimes et manquements ci-après ont caractérisé le régime de Pierre Nkurunziza : les actes de torture contre l’ancien vice-président de la République Alphonse-Marie Kadege et la détention arbitraire des anciens dignitaires du pays y compris le président Domitien Ndayizeye; des massacres de Muyinga en 2006 au plan « SAFISHA » en 2011 visant les fidèles d’Agathon RWASA : une politique d’élimination systématique des opposants orchestrée par le régime présidé par Pierre Nkurunziza.

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Pierre Nkurunziza, le guide suprême du patriotisme

L’élimination ciblée des opposants politiques à la suite de la contestation des élections de 2010. On se souvient à titre illustratif du cas de Léandre Bukuru (Gitega) du parti MSD (Mouvement pour la Solidarité et la Démocratie) qui a été décapité sans état d’âme par le SNR (Service national des renseignements) relevant de la présidence de la République; l’assassinat d’Ernest Manirumva, l’ancien vice-président de l’OLUCOME (Observatoire de lutte contre la corruption et les malversations économiques) en 2009; la période de 2015 à 2020: Pierre Nkurunziza, en sa qualité de supérieur hiérarchique, a été responsable des crimes lui imputables par omission ou par action notamment les multiples crimes contre l’humanité sous enquête de la CPI, plusieurs crimes économiques qui n’ont pas été élucidés y compris un accaparement de terres domaniales et privatives des citoyens burundais; le forcing électoral de 2015 ainsi que la révision unilatérale de la Constitution en 2018 constituent une négation de la démocratie et un coup de massue contre l’Accord d’Arusha pour la paix et la Réconciliation au Burundi.

La manipulation généralisée et systématique de la justice pour servir des intérêts égoïstes et sectaires du Président Pierre Nkurunziza ; la proclamation de sa bouche des appels à lynchage des opposants et l’entretien d’une milice qui pratique la violence dans une impunité absolue ; depuis 2014, Pierre Nkurunziza a entamé une chasse à l’homme contre ses compagnons de lutte opposés à son troisième mandat.

Depuis plusieurs années de son règne, de grandes décisions, y compris celles qui ont débouché sur des violations graves des droits de l’homme, n’étaient pas prises par le Gouvernement, mais par Pierre Nkurunziza entouré d’un cercle restreint de «généraux» et cette gouvernance parallèle a débouché sur des catastrophes dans tous les secteurs de la vie nationale ; Etc.

Conclusion

Certes, Nkurunziza ne peut plus être poursuivi ici-bas mais sa responsabilité et ses défaillances se manifestent à plusieurs égards et tout mécanisme indépendant de recherche de vérité sera à même de réunir de nombreuses preuves à la fois sur ses omissions et ses actions à travers lesquelles non seulement il a trahi le peuple burundais mais aussi il a commis l’irréparable à ce peuple même qui lui avait fait une extrême confiance.

Il aura notamment osé proclamer qu’une partie de la population burundaise était des MUJERI (chiens errants, maigres et souvent sans maîtres) et qu’il fallait donner un visa pour aller au ciel (tuer) ceux qui pouvaient s’opposer au projet de révision de la constitution en 2018.

Nous considérons que c’est à la fois honteux et osé que le pouvoir en place entreprend des sales méandres visant à ériger une personnalité controversée au rang d’un héros. C’est plutôt un traître eu égard aux malheurs que continue à subir le peuple burundais à la suite de ses boulimies, son égoïsme et son incapacité à servir dignement le peuple burundais.
Les co-auteurs et les complices du défunt président devraient plutôt se préparer à affronter la justice le jour où ils perdront ce semblant de pouvoir qui les maintient dans une illusion suprématiste causée par leur anachronisme ou leur cécité chronique par rapport à la réalité qui atteste que le pouvoir des humains est le plus souvent éphémère.

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Photo : Me Janvier Bigirimana

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