Burundi : le président Neva accuse les syndicats des enseignants de financer le terrorisme

Burundi : le président Neva accuse les syndicats des enseignants de financer le terrorisme

Le chef de l’Etat l’a déclaré ce samedi lors d’une séance de « moralisation » des jeunes entrepreneurs. Elle s’est déroulée dans la ville commerciale Bujumbura. Selon le président burundais, les leaders syndicaux perçoivent des sommes colossales d’argent qui servent à « financer le terrorisme et les assassinats ». Il promet une commission qui va montrer la destination des cotisations des enseignants et menace de s’approprier les fonds des enseignants afin de les mettre à la disposition du gouvernement. (SOS Médias Burundi)

Lors de la séance du week-end dernier qui s’est déroulée au centre jeunes Kamenge (nord de Bujumbura), la question relative à la grève des enseignants s’est invitée. Le président Neva n’a pas caché son dégoût.

« À quelque chose malheur est bon. Ils m’ont rappelé une chose. Je vais chercher même la centime que les enseignants ont cotisé. Ce sont les contributions des enseignants qu’ils détournent qui poussent les leaders syndicaux à être orgueilleux. Et quand ils sont rassasiés, ils appellent les enseignants à l’insurrection. Faisons un petit calcul, ce n’est pas moins de cinq cent millions de francs burundais (soit deux cent cinquante mille dollars) collectés chaque mois[…] », a-t-il insisté sous les applaudissements des jeunes dont la majorité sont sympathisants du CNDD-FDD, le parti au pouvoir.

Terrorisme

Sans donner aucune preuve, le président burundais a affirmé que les cotisations des enseignants servent à financer le terrorisme.

« Prenons un exemple, au cours des dix dernières années, peuvent-ils nous montrer à quoi ont servi les contributions? Ils ont racketté les enseignants et veulent maintenant dévaster le pays. Je vais les contrôler! Qu’ils ramènent cet argent pour qu’on l’utilise dans la construction du pays.[…]. Nous allons fouiller. Ils doivent nous montrer tout. C’est cet argent non contrôlé qui finance le terrorisme. C’est cet argent à la destination douteuse et inconnue qui finance les assassinats », a-t-il dit comme pour haranguer la foule sous un ton menaçant.

Une enseignante dans un centre de déplacés,victimes de débordement de la rivière Rusizi à Gatumba (ouest du Burundi), juin 2021

Il a promis de mettre en place une commission chargée de fouiller dans les comptes des syndicats leur reprochant d’avoir des sommes colossales d’argent qui « dorment dans les banques » au lieu de créer leur propre banque qui aurait la « meilleure santé financière au Burundi ».

Menace contre les grévistes

Le président Ndayishimiye n’y va par quatre chemins. Tout enseignant qui compte observer un mouvement de grève se verra refuser le droit au salaire.

« La grève ne peut plus exister au Burundi. Tous ceux qui vont grever, ils doivent savoir qu’ils n’auront plus de salaire. En plus de ça, ils auront une cotation médiocre. Je leur conseillerai de rejoindre les ADF (Forces Démocratiques Alliées) au Congo. Qu’ils engagent une guerre s’ils veulent, moi je suis un combattant. Je vais les affronter avec dix millions de Burundais […]. Le temps de grever est révolu au Burundi », a-t-il continué sous un ton moqueur.

Il promet aussi de limoger les enseignants qui oseront grever et les remplacer par des jeunes chômeurs. « Le gouvernement est à la fois juge et partie », prévient le président Neva.

« Nous avons des jeunes chômeurs aujourd’hui, nous allons les former sur le champ et viendront les remplacer. Et les enseignants grévistes vont aller occuper la place de ces jeunes. Et ils pensent qu’ils vont introduire une plainte en justice. Mon œil! Qui vous a trompés? Le gouvernement a toujours raison. Quand vous intentez un procès contre le gouvernement, il y a une chose que vous ignorez : le gouvernement devient en même temps juge et partie. Va-t-il décider en sa défaveur ? Ils sont tellement idiots qu’ils ne savent pas à qui ils ont affaire », a-t-il martelé tout en répétant que les enseignants sont inspirés par le « diable ».

Selon le numéro Un burundais, un enseignant qui va poursuivre le gouvernement en justice ne peut espérer une issue qu’à l’âge de 85 ans, « l’âge auquel il n’aura plus de force pour enseigner quand bien même il aurait raison ».

Le 14 janvier dernier, les syndicats affiliés à la coalition des enseignants pour la solidarité nationale et la défense des droits socio-professionnels (Cossesona) avaient menacé d’entamer un mouvement généralisé de grève si le ministère en charge de l’éducation ne revenait pas sur sa décision d’organiser un test de choix des enseignants candidats au recyclage. Ils avaient qualifié la mesure d' »humiliation ».

Quatre jours plus tard, le ministère en charge de l’éducation et les syndicats avaient décroché un compromis. La coalition a accepté de surseoir au mouvement de grève et le ministère s’est engagé à suspendre le test qui avait comme objectif de « détecter les forces et faiblesses des enseignants ».

C’est le comité national du dialogue social dirigé par l’ancien président Sylvestre Ntibantunganya qui avait joué la médiation. Le président Neva a tout remis en cause.

« Nous sommes dans un préavis de grève tout simplement parce que nous voulons connaître les gens qui n’ont pas les capacités nécessaires pour les recycler afin qu’ils aient les capacités d’enseigner nos enfants. Le recyclage a toujours existé. Comment peut-on connaître les gens à recycler si on ne les cherche pas ? Les enseignants qui ont les capacités vont former ceux qui n’en ont pas », a-t-il assumé.

Un enseignant dans une salle de classe en province de Bubanza (ouest du Burundi)

Au Burundi, les grèves sont assimilées à des mouvements de soulèvement depuis la crise de 2015 déclenchée par un autre mandat controversé de feu président Pierre Nkurunziza. Tout gréviste est considéré comme « insurgé ou rebelle » et peut être poursuivi pour « atteinte à la sécurité de l’Etat ». Et d’ailleurs, M. Neva a appelé les parents à être vigilants et espère qu’ils ne « toléreront pas voir un enseignant étancher la soif dans un bistrot alors que leurs enfants sont à la maison ».

Dans cette petite nation de l’Afrique de l’est qui compte plus de 82 mille enseignants, les concernés ont récemment exprimé des inquiétudes quant à l’application de la nouvelle politique salariale.

Ils déplorent entre autres le gel des annales, des primes et des indemnités qui reste en vigueur depuis 2016 et la non correction des disparités salariales aux écarts énormes.

Entre 2007 et avril 2015, les syndicats des enseignants ont pu débloquer plusieurs obstacles liés à leur emploi au Burundi. Un organe de dialogue réunissant des représentants des enseignants, du gouvernement et d’autres partenaires avait été mis en place. Mais depuis plus de cinq ans, les leaders syndicaux regrettent « un manque de dialogue ».

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Photo : le président Neva s’adresse à des enfants dont les familles ont été regroupées dans un centre en province de Bujumbura suite aux pluies torrentielles qui ont détruit leur ménage, le 4 juin 2021

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