Bujumbura : les autorités chassent des vendeurs déjà écœurés par les rafles policières
Les autorités burundaises interdisent toutes les activités commerciales aux alentours de l’ancien marché central de Bujumbura, détruit par un incendie en janvier 2013. Elles évoquent des raisons sécuritaires. Les concernés, surtout des femmes, grognent et parlent « d’une décision égoïste ». La mesure entre en vigueur à partir ce vendredi. (SOS Médias Burundi)
Ils sont très nombreux à dénoncer cette décision. Les intéressés sont constitués pour la majorité de femmes issues des quartiers pauvres de la ville commerciale Bujumbura.
« Cet endroit fait vivre beaucoup de personnes. Ce sont les personnes aux très faibles moyens qui viennent ici surtout. Ici avec un petit capital de 10 ou 15 mille francs, on peut travailler et avoir de quoi nourrir ses enfants. Il y en a même qui viennent sans aucun sou mais prennent des marchandises, les vendent et parviennent à avoir une petite somme comme bénéfice qui leur permet d’acheter le repas du soir pour les enfants. Tout le monde ne se suffit pas…. C’est ça que doivent comprendre nos autorités », se désole Léocadie Nindorera*, la quarantaine.
Pour cette commerçante, les autorités qui prennent de telles décisions vivent dans des conditions très aisées, elles ne sont pas concernées par la misère qui gangrène la majorité de Burundais.
« Aujourd’hui, un Kg de haricot s’achète à 4 mille francs, celui du riz à 5 mille. Je vous jure, pour certaines familles qui ont 5 à 6 enfants, on doit les frapper pour qu’ils aillent dormir car ils refusent d’aller se coucher le ventre creux. Il y a beaucoup de chômeurs aujourd’hui, beaucoup d’étudiants qui terminent les études se retrouvent dans la rue en train de faire du commerce ambulant de bonbons, d’aubergines ou de mangues…et parviennent à vivre grâce à ça. Le maire de Bujumbura, a-t-il pensé à ces gens en prenant cette décision, quel sera leur avenir ? », questionne-t-elle.
Une chose et son contraire
Pour cette autre commerçante, les décisions des responsables de la mairie de Bujumbura ne sont pas cohérentes avec le discours des autorités burundaises.
« Nos dirigeants nous appellent tous les jours à créer des activités génératrices de revenus parce qu’il n’y a plus d’emploi. Quand on en trouve, ils ne font que nous décourager. Qu’ils nous laissent nous démerder…Déjà la majorité meurt de faim…que cherchent-ils exactement ? », estime Rosalie Bukuru*, avec amertume.
Pour Annie Kagayo, « cette décision va affecter mes quatre enfants ».
« J’élève seule mes quatre enfants depuis que mon mari m’a quittée trois mois avant que le dernier ne naisse. Avec un petit capital de 10 mille, je parvenais à les nourrir et payer le loyer sans recourir à la mendicité ou au banditisme. Même si moi je ne vais pas voler les biens d’autrui, mon enfant s’il ne mange pas, il sera obligé de le faire. Ce sera une catastrophe si l’on nous chasse », déplore cette commerçante.
Des vendeuses déjà écœurées par les rafles policières
C’est le cas de Cynthia Kaneza*.
« Moi, on m’a déjà arrêtée à trois reprises et envoyée au commissariat municipal. Chaque fois, j’ai payé 30 mille francs, ce qui totalise 90 mille pour sortir du cachot.
Récemment, un responsable policier a pris mes avocats d’une valeur de 80 mille et les a offerts à des porteurs ambulants. S’ils veulent nous reloger, qu’ils nous donnent des capitaux nous permettant d’aller nous installer dans de grands marchés », désespère cette mère qui affirme « ne savoir plus à quel saint se vouer ».
D’autres commerçants qui se sont confiés à SOS Médias Burundi déplorent que « cette décision unilatérale a été prise de façon précipitée. On n’aura même pas le temps de nous préparer pour aller nous installer ailleurs ».
Après l’incendie qui a ravagé l’ancien marché central en janvier 2013, plusieurs commerçants sont allés s’installer dans différents marchés de Bujumbura, d’autres ayant préféré retourner dans des échoppes qui ont été construites non loin ce marché dans les jours qui ont suivi le drame.
Selon l’association des commerçants de l’ancien marché , près de 100 mille personnes ont été directement affectées par le feu qui l’a ravagé. Depuis, les autorités burundaises peinent toujours à le reconstruire malgré des promesses incessantes qu’il sera reconstitué en un grand centre commercial.
Selon des sources que SOS Médias Burundi n’a pas été en mesure de vérifier, des hommes d’affaires et autorités sécuritaires proches du CNDD-FDD, le parti présidentiel, veulent récupérer l’endroit pour l’exploiter.
« Certains commerçants se verraient même obligés de revenir louer les mêmes places à des prix très exorbitants », déplorent nos sources.
Ce matin, le chef de zone Rohero dans le centre de Bujumbura, accompagné par plusieurs policiers a fait un tour pour s’assurer que la décision du maire Jimmy Hatungimana a été respectée, ont constaté des reporters-SOS Médias Burundi. Cette mesure décriée par les concernés s’applique également à des vendeurs ambulants dans une ville où les motos et tricycles sont interdits sur la majeure partie, une mesure qui a affecté plus de quatre mille conducteurs de moto du transport rémunéré, selon leurs associations.
*Les noms des personnes interviewées ont été modifiés pour des raisons de sécurité.
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Photo : des policiers dans une rue qui reçoit des vendeuses ambulantes non loin de l’ancien marché central de Bujumbura, le 24 novembre 2023
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