Bujumbura : les séquelles toujours là, huit ans après les massacres du 12 décembre 2015
Huit ans après les massacres du 11 et 12 décembre 2015 à Bujumbura (ville commerciale) et ses environs, des rescapés se sont confiés à SOS Médias Burundi. Ils gardent le cauchemar de ce qu’ils ont vécu.Des réfugiés burundais, victimes de torture, d’emprisonnement ou de violation des droits humains en 2015 au Burundi expliquent vivre dans le traumatisme jusqu’à présent. (SOS Médias Burundi)
Pour JMV, réfugié à Kigali au Rwanda, les 11 et 12 décembre 2015 resteront « les dates les plus sombres de ma vie ».
« A vrai dire, la journée du 12 décembre 2015, et d’ailleurs depuis la nuit du 11, a été la pire des journées que j’ai connue sur cette terre. C’est vrai que je soutenais le mouvement , donc les attaques même si je n’y ai pas participé. Mais la répression ne m’a pas épargné. Les policiers m’ont trouvé chez moi à Nyakabiga (centre de Bujumbura) , Dieu merci il y a eu un malentendu sur la décision de me tuer sur place. Ils défonçaient les portes, entraient dans les maisons, tiraient sur des gens. Être jeune, c’était une raison pour se faire assassiner. Moi, ils m’ont pris avec eux….J’ai vu plus de dix corps qui jonchaient mon avenue, certains je les connaissais. Ce qui m’a sauvé c’est que j’avais quelques billets dans la poche, et puis ils m’ont dit de m’en aller, on était déjà à Rohero (quartier du centre aussi) , me promettant que même s’ils me laissent, je ne vais pas survivre, donc qu’il y a un autre groupe qui ne va pas me laisser. J’ai passé quelques jours là-bas. Après, je me suis enfui vers un pays étranger » , se souvient-il.
Plusieurs de ses amis ont été tués, confie celui qui se souvient encore des visages des agents qui ont ouvert le feu sur des civils, dont des mamans.
C.R est un autre Burundais qui a fui vers un pays voisin, après les massacres du 12 décembre. Il a frôlé la mort.
« Je suis conscient que j’ai pris part à ces attaques. On est parti du côté de Mutakura pour attaquer le camp de Ngagara (nord de Bujumbura). On s’y est même introduit sans trop de problèmes. On a pris quelques armes avant de subir beaucoup de pertes. Je me souviens des mots que ‘mon commandant’ m’a soufflé : ‘Mon ami, nous sommes surpris, sauve qui peut ’. C’est là qu’on s’est replié. Le guide a été tué sur place, moi , j’ai échappé à une explosion de grenade. J’ai sauté la clôture vers le quartier 9 et je me suis déshabillé pour enlever la tenue militaire que je portais. Le calvaire venait de commencer. Mes amis, une vingtaine ont été tués sur place, la plupart des jeunes de mon quartier. Je reconnais dans tous les cas, que nous n’avons pas bien évalué les variables militaires de l’opération. Certains responsables étaient même opposés à cette ‘opération suicide’. Les blessés ont été achevés sommairement. Plusieurs ont été enterrés dans des fosses communes”, raconte celui qui ne se voit pas retourner dans son pays natal.
N.M lui , habite toujours au Burundi, dans un quartier du sud de la ville commerciale.
« Je connais par coeur une fosse commune où ont été enterrés des dizaines de corps, le lendemain de l’attaque, emmenés par un pick-up soit de la mairie ou la Commune. Personne n’était autorisé à s’approcher de ce lieu. Mais par après j’y suis allé, le soir. La terre était encore neuve. Au moment opportun je montrerai cette fosse.
Il y a d’autres qui connaissent peut être la fosse commune mais personne n’ose le dire. Je suis traumatisé chaque fois que je pense à ce lieu maudit », indique celui qui a perdu beaucoup d’amis ce jour-là.
« J’ai vu de dizaines de cadavres à Nyakabiga (centre de la ville de Bujumbura). Quand j’ai fui vers Mutanga(nord de la ville),j’ai aussi vu plusieurs autres corps et des camionnettes qui transportaient des cadavres. Mon frère lui a assisté à l’enterrement à la hâte de dizaines de jeunes gens à Kanyosha (sud de Bujumbura) », a rappelé un jeune homme rescapé des massacres du 12 décembre 2015. Il a fui vers l’Ouganda.
Des réfugiés burundais exilés dans la sous-région déplorent la lenteur de la machine judiciaire internationale.
Ils demandent à la Cour Pénale Internationale (CPI) d’émettre des mandats d’arrêt contre des présumés coupables de ces massacres et s’engagent à témoigner devant la cour si elle fait appel à eux.
En décembre 2015, quatre installations militaires de la capitale économique Bujumbura et une dans la province de Bujumbura ont été attaquées par des hommes armés.
Les attaques ont été suivies d’une répression sanglante dans les quartiers de la ville de Bujumbura et des communes de la province qui avaient manifesté contre un autre mandat controversé de feu président Pierre Nkurunziza.
L’armée avait à l’époque parlé de « 79 tués côté ennemi, 4 militaires et policiers tués ainsi que 45 capturés parmi les hommes qui avaient attaqué les différents camps ».
Aucune enquête n’a été initiée jusqu’ici à l’exception des jeunes exécutés après l’attaque du camp de Mujejuru (province de Bujumbura).
Le procureur général de l’époque, Valentin Bagorikunda avait parlé de sept combattants tués dans des circonstances « non élucidées » tout en précisant que deux informations judiciaires visant un officier de l’armée et un autre de la police avaient été ouvertes.
Depuis, plus rien n’a filtré à propos de ces deux dossiers.
Les proches du pouvoir ont toujours accusé l’opposition et une partie de la société civile « d’avoir trompé des jeunes sans expérience » ,en les livrant à une armée professionnelle dans le but de « trouver des indices pour accuser les autorités burundaises de crimes contre l’humanité ».
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Photo d’illustration : des femmes pleurent après le passage de policiers qui ont tué un jeune de leur famille à la huitième avenue du quartier Nyakabiga I, le 12 décembre 2023
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