Burundi : vers l’interdiction de la commémoration des victimes de la minorité Tutsi ?
Dix personnes seulement sont autorisées à se rendre au mémorial de « Kwibubu » où reposent plus de 150 élèves Tutsis massacrés en 1993 à la suite de l’assassinat du premier président Hutu démocratiquement élu Melchior Ndadaye. Le ministre en charge des affaires intérieures évoque « la situation actuelle de propagation du Covid-19 ». Pourtant, des évènements concernant des victimes Hutus sont organisés et voient la participation des milliers de gens dans cette nation de l’Afrique de l’est dont le premier ministre fustige le vaccin contre le Coronavirus. (SOS Médias Burundi)
Tous les 21 octobre de chaque année, les associations de défense des victimes Tutsis et les parents d’élèves tués à Kibimba se rendent au mémorial de « Kwibubu ». Là,reposent plus de 150 élèves Tutsis. Pour la deuxième année consécutive, les autorités burundaises leur empêchent d’y aller, du moins comme ils le désirent .
La décision leur a été communiquée dans une lettre du ministre Gervais Ndirakobuca, ministre en charge des affaires intérieures. « […], vous en conviendriez que la situation actuelle de propagation du Covid-19 s’avère très inquiétante, raison pour laquelle le gouvernement vient de prendre des mesures pour limiter les jours des fêtes et des cérémonies à caractère social et l’application stricte des mesures barrières.
Comme nous sommes concernés par cette menace, nous vous invitons à comprendre aussi cette préoccupation […] et considérant que le Burundi est en processus de réconciliation nationale, nous vous suggérons de désigner une équipe ne dépassant pas dix personnes pour représenter votre association dans ces cérémonies », peut-on lire dans une lettre adressée au représentant légal de l’association AC Génocide Cirimoso.
Terrence Mushano,vice-président de l’association dit espérer que la mesure concerne tout le monde.
« [….], quand bien même comparaison n’est pas raison, le 13 octobre (commémoration de l’assassinat du héros de l’indépendance) il y avait plus de monde. Comme la pandémie menace tout le monde nous pensons que la mesure concerne tous les rassemblements possibles, tous les rassemblements des citoyens à l’intérieur de notre pays », a-t-il réagi.
Prétexte?
Au Burundi, des évènements à caractère national et ceux concernant des massacres ayant endeuillé les Hutus sont pourtant organisés et reçoivent beaucoup de monde.
Nous citerons sans être exhaustif : la commémoration des massacres de 1972 qui ont emporté plus de Hutus que de Tutsis, la commémoration des massacres des étudiants Hutus en 1995 à l’université du Burundi, la journée dédiée aux jeunes entrepreneurs à laquelle le chef de l’Etat a participé, la commémoration du premier anniversaire de la mort de feu président Pierre Nkurunziza, la célébration de la journée dédiée aux Imbonerakure, les jeunes du parti présidentiel, l’organisation de la semaine dédiée à la diaspora (proche du pouvoir), la célébration de la fête de l’indépendance, des rassemblements du parti au pouvoir le CNDD-FDD, les foires et expositions,de grandes croisades, la commémoration du 60 ème anniversaire de l’assassinat du prince Louis Rwagasore, héros de l’indépendance et bien d’autres journées nationales ,continentales et internationales comme celle sur la réduction des risques et catastrophes rehaussée par M. Ndirakobuca ce lundi au chef-lieu de Kirundo (nord) et les cérémonies d’ouverture des activités de la ligue des « femmes leaders » lancées par le président Ndayishimiye ce mardi dans la ville commerciale Bujumbura.
C’est la deuxième année consécutive que les associations et les parents d’élèves ne sont pas autorisés d’aller se recceulir devant les leurs,comme ils le veulent.
L’année passée, ce sont les autorités communale de la commune de Giheta et provinciale de Gitega (centre du Burundi) qui ont interdit la commémoration.
Elles avaient évoqué « la sécurité de ce lieu » qui est sur la colline natale du président Evariste Ndayishimiye qui y possède une résidence.
Pour rappel, plus de de 150 élèves du lycée de Kibimba avaient été rassemblés dans une station service de Kwibubu le 21 octobre 1993 avant de subir une mort atroce. Certains ont été brûlés vifs, d’autres décapités.
Sur les réseaux sociaux, la majorité a qualifié la décision du tout puissant ministre de l’intérieur de « négationisme » même si M. Ndirakobuca écrit aux responsables de l’association AC Génocide Cirimoso que « nous sommes d’avis tout comme vous autres, qu’il est de votre droit le plus légitime de commémorer la mémoire des vôtres ».
Le Burundi a la même composition ethnique que son voisin du nord le Rwanda où le génocide de 1994 contre les Tutsis a été reconnu par les Nations-Unies.
Au Burundi, les Hutus et les Tutsis peinent à se mettre d’accord sur la qualification des crimes qui ont emporté les leurs.
Les Tutsis veulent que les massacres de 1993 qui ont suivi l’assassinat du premier président Hutu démocratiquement élu Melchior Ndadaye soient considérés comme « un génocide » au moment où les Hutus, y compris un ancien président et des associations locales ainsi que des partis politiques dont le Frodebu de Ndadaye militent sans relâche pour qualifier eux-mêmes les tueries de 1972 de « génocide contre les Hutus ».
Dans son opinion » face aux controverses sur le génocide de 1972 au Burundi « publiée par SOS Médias Burundi fin juin cette année, Maître Isidore Rufyikiri, ancien bâtonnier du Burundi en exil rappelle qu’ « au regard de la loi, l’Etat du Burundi n’a ni compétence matérielle ni compétence temporelle pour qualifier et juger d’une infraction de génocide commise en 1972,dès lors que le code pénal burundais de cette époque ne contenait aucune disposition relative à cette infraction. Par ailleurs, aucun texte légal ne donne au juge burundais la compétence pour donner la qualification à un crime ».
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Photo : Kibimba, le lieu où reposent les corps de plus de 150 élèves Tutsi tués en 1993
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