Burundi : réactions sur l’élévation de Nkurunziza au titre de guide suprême du patriotisme

Burundi : réactions sur l’élévation de Nkurunziza au titre de guide suprême du patriotisme

Ce jeudi, la chambre basse du Burundi a voté un projet de loi qui élève feu Pierre Nkurunziza au titre de guide suprême du patriotisme. Des réactions n’ont pas tardé à tomber: Selon Frédéric Bamvuginyumvira ancien vice-président de la République actuellement en exil, « on ne peut point parler de patriotisme pour un président qui n’a rien fait pour réconcilier une société « divisée » ou qui l’a plutôt divisé d’avantage en 2015″. Citant plusieurs aspects et failles qui ont caractérisé le règne de feu Nkurunziza, il considère que l’élever au rang d’un héros de patriotisme est un acte hypocrite. Maître Janvier Bigirimana quant à lui trouve qu’élever Nkurunziza à ce rang est  » une insulte grave à la mémoire des victimes de sa dictature et de sa répression ». (SOS Médias Burundi)

Frédéric Bamvuginyumvira commence par rappeler le contexte de d’accession du parti CNDD-FDD au pouvoir. Selon lui, ce parti se disait chercher à imposer au Burundi une nouvelle vision de la société fondée sur un certain manichéisme: des militants du CNDD-FDD qui sont pour eux « d’honnêtes citoyens » et « les autres » qui sont convertis (gupingura) ou à traquer s’ils refusaient.
Pour eux, le pays est à formater en fonction de leurs objectifs : maîtriser la sécurité pour contrôler tous les citoyens, la distribution des responsabilités et des moyens de l’État aux militants du CNDD-FDD même des incapables, manipuler la conscience à travers les versets bibliques et les croisades.

Une appellation calculée depuis longtemps

Professeur d’éducation physique, Nkurunziza, s’est illustré dans la construction des terrains de football. Pour quelle finalité? « Il s’attendait à ce que son égoïsme soit propulsé à l’héroïsme », analyse M. Bamvuginyumvira.

Et de poursuivre, « Le deuxième point d’entrée a été la confiscation des moyens de l’État pour la construction des infrastructures publiques ou du parti pour sa propre visibilité au détriment des institutions de l’État au moment où le troisième point a été la manipulation des Burundais crédules lors des croisades annuelles prétextant remercier Dieu ».

D’après l’ancien vice-président, ces actions avaient pour but de donner à Nkurunziza la visibilité en vue de se forger une image d’un Ayatollah Khomeini en passant par des titres emphatiques comme « Guide Suprême du patriotisme ».

Un patriotisme qui n’en est pas un et l’hypocrisie

« De quel patriotisme s’agit-il lorsqu’il n’a rien fait pour réconcilier une société « divisée » ou plutôt qu’il a divisé davantage avec 2015? », s’interroge M. Bamvuginyumvira avant de considérer d’hypocrisie l’acte de la chambre basse du parlement. « Le 8 juin 2020 son destin ne lui a pas permis d’assister à son couronnement ou à sa dérive. Le CNDD-FDD veut le couronner à titre posthume : du réalisme ou de l’hypocrisie? Une loi avait été votée et promulguée par lui-même. Quelle supercherie. Le héros est par définition des personnages réels ou fictifs de l’histoire dont les hauts faits méritent qu’on les chante, édulcorés par des hagiographes en vue de les faire passer dans la légende populaire. Les militants du CNDD-FDD savent que les terrains de football se construisaient alors que la population vivait dans l’incertitude, se vautrait dans la misère indescriptible alors que Nkurunziza et ses sbires faisaient une course de fonds vers un enrichissement illicite suite au détournement des fonds, manipulait les consciences pour une propagande ingénieuse. Si ces actions paraissent aux yeux du CNDD-FDD comme des actions pouvant conduire à l’héroïsme est un témoignage d’une cécité politique et une preuve de manque de compréhension évolutive du monde qui nous entoure. Elever Nkuruziza au rang d’un héros de patriotisme serait un acte hypocrite car rien dans tout ce qu’il a fait n’a un caractère homérique. Le patriotisme dans un pays où ses propres fils vivent l’exil et d’autres considérés comme des ennemis du pays, là où la loi est foulée aux pieds, là où la justice n’existe que de nom, là où la monnaie devient de plus en plus une monnaie de singe. C’est de l’hypocrisie », explique Bamvuginyumvira.

Aveu d’impuissance

Après le constat d’échec électoral le 20 mai 2020, Le CNDD-FDD n’a plus de ressorts pour mériter d’être un parti qui inspire l’espoir d’un avenir heureux d’un peuple qui a tant souffert. Si ce parti croit encore qu’avec Nkuruziza mort, il peut mobiliser les Burundais à les suivre c’est un aveu d’impuissance de créer un dynamisme politique à travers un discours accrocheur.
Cette date de 8 juin qui doit être célébrée vient égratigner la date du 1er juillet, jour de l’indépendance. Le CNDD-FDD qui croit que le Burundi existe depuis qu’il est au pouvoir, il devient loisible d’éclipser le héros de l’indépendance et à tous le moins exploiter politiquement le héros de la démocratie pour leur propre compte. Il s’agit de s’accrocher aux herbes mouvant quand on se noie. Se réconcilier avec un mort pour se donner bonne conscience. La désignation d’Évariste Ndayishimiye comme candidat des Généraux a divisé le parti en deux camps : camps du candidat Nkurunziza, Pascal Nyabenda, c’est-à-dire les grands profiteurs de la République d’un côté et les Généraux, de l’autre. C’était la victoire de l’armée sur l’argent mal acquis.
Le blocage des routes principales dans 6 provinces dans une nuit, l’irruption de 120 jeunes armés à Kumucungwe dans Bujumbura rural, des attaques répétées sur le Rwanda pour provoquer l’État d’urgence témoignent à suffisance de l’intention de Nkurunziza de rester Président, ce qui contrariait Ndayishimiye. Tout cela n’est qu’un secret de polichinelle, estime M. Bamvuginyumvira.

Se moquer de Nkurunziza en son absence

« Avec lui, on a la formation des enfants à la haine ethnique, l’isolement diplomatique, la pauvreté des Burundais, la dépréciation de la monnaie burundaise, le terrorisme d’État, la dignité égratignée […]. Si tout cela ferait de lui un héros, ce serait un héros du CNDD-FDD et non pas celui des Burundais pour se donner bonne conscience. Un tel geste est un coup d’épée dans l’eau comme ils sont habitués à en faire. Un tel geste n’aura pas d’effets dans les esprits de Burundais en général », indique l’ancien vice-président.

Une insulte à l’endroit de ses victimes

Selon Maître Janvier Bigirimana, président de Tournons la page-Burundi, ériger Pierre Nkurunziza en héros national est une insulte grave à la mémoire des victimes de la dictature et de la répression installées par le défunt président notamment à la suite du troisième mandat illégal entamé en 2015 après la violation de la constitution et de l’historique Accord d’Arusha pour la paix et la réconciliation au Burundi. « Je trouve plutôt qu’il est exagéré et éhonté de considérer comme héros un dirigeant qui, à la suite de son égoïsme et de sa boulimie du pouvoir, a osé sacrifier des vies humaines et des acquis de la démocratie et de la stabilité afin d’assouvir des intérêts personnels et sectaires », a-t-il réagi.

Et de rappeller,  » Par ailleurs qui pourrait oublier que Pierre Nkurunziza, de sa propre bouche, a osé qualifier une partie de la population de « Mujeri » (chiens négligés et sans maître), qu’il a déclaré que les opposants à son troisième mandat allaient finir comme une traînée de poudre et qu’il a déclaré que ceux qui allaient voter contre la révision constitutionnelle de 2018 allaient recevoir un visa pour aller au ciel, ce qui signifie qu’il donnait des ordres formels d’éliminer des opposants et des citoyens présumés comme tels d’où les multiples crimes graves commis au Burundi lui sont en grande partie imputables. Face à une personnalité politique qui a joué un rôle si négatif et qui était un présumé auteur des crimes contre l’humanité sous enquête de la CPI , il a plutôt trahi un peuple qui lui avait fait tous les honneurs et avantages possibles. En effet, il y a lieu de regretter que sous le règne de Pierre Nkurunziza et plus particulièrement depuis 2015, la terreur a été érigée en mode de gouvernance, annihilant par là tous les acquis de la démocratie, de la cohabitation pacifique, de la stabilité et du respect des droits humains au Burundi ».

Sans toutefois prôner sa condamnation à titre posthume puisque le régime juridique burundais ne le prévoit pas, les co-auteurs et les complices qui se comptent parmi les autorités en place doivent savoir qu’elles pourront un jour répondre de leurs actes et avant que cela n’arrive, le minimum est de ne pas injurier le peuple burundais en leur imposant une personnalité de triste mémoire comme un héros national pour quelque raison que ce soit, conclut-il.

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Photo : Pierre Nkurunziza plébiscité guide suprême, titre qu’aucun autre Burundais n’avait jusqu’ici, même le prince Louis Rwagasore, héros de l’Indépendance.

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